Pique-nique à Cottingley

Décembre 1920. Une agitation fébrile gagne les Londoniens, puis se répand dans toute l’Angleterre. On a photographié des « fairies ». –Le mot français «fées» ne rend pas toute la richesse du terme anglais qui associe fées et petit peuple –

C’est un article écrit par sir Arthur Conan Doyle, le père de Sherlock Holmes, intitulé « Fairies Photographed » qui crée l’émoi.

Deux jeunes filles « Alice/Frances Griffiths (9 ans) et Iris/Elsie Wright (16 ans)» ont capturé les créatures grâce à leur appareil photo. Les premières photos ont été prises en 1917. En 1919, Polly Wright, la mère d’Elsie, montre les photos au conférencier de la Société Théosophique de Bradford qui les fait parvenir à Edward Gardner, président de ce groupe ésotérique.

Gardner les transmettra ensuite à Conan Doyle.

A la parution de l’article, deux clans se forment alors très vite : les sceptiques et les croyants.

Conan Doyle et Edward Gardner ont pourtant pris toutes les précautions en faisant analyser dans les moindres détails les tirages par des experts dont le photographe Harold Snelling et un spécialiste de la firme Kodak. Ceux-ci ont confirmé que les images n’ont pas été retouchées, même si ni Snelling ni la firme Kodak ne veulent fournir un document authentifiant l’existence des fées.

Sir Arthur Conan Doyle est également spirite, amateur de psychographie (écriture spirite) et ophtalmologue et est au courant de l’existence du daltonisme. Il ne nie donc pas la possibilité que certains ne voient pas le réel comme d’autres.

Qui plus est, son père Charles, alcoolique, est mort en délirant dans un asile psychiatrique. Il passait beaucoup de temps à dessiner des fées qu’il affirmait voir. Peut-être qu’il percevait des choses invisibles et n’était pas si délirant que ça. En plus, un de son oncle Richard Doyle est un grand illustrateur du petit peuple. Le succès de l’article du Strand est tel qu’en mars 1921, une seconde série de photos est publiée dans le même magazine.

Malheureusement pour les lecteurs, les vrais noms des fillettes et l’endroit où ont été prises les photos restent secrets.

Dans une Angleterre décimée par la guerre et l’épidémie de grippe espagnole, ces clichés apportent un sourire et un peu d’espoir sur l’existence d’un monde parallèle, souvent invisible. Le pays a besoin de poésie.

Après tout, les fairies sont présentes depuis des siècles dans les traditions de l’île, même si les habitants de Seelie (les bonnes fairies) et d’Unseelie (les trouble-fête) ne sont pas nécessairement toujours les bienvenus.

Entre les leprechauns, gobelins, bug-a-boos, hobgoblins, brownies, boggarts, gnomes, sprites, nixies, pixies, fées, asray, kobolds, spriggans, changelings, Puck, Queen Mab, sylphes, kelpies, Tylwyth Teg et autres Pillywiggins, il est parfois difficile de s’y retrouver…

Depuis la pièce « A Midsummer Night’s Dream », de William Shakespeare, la taille des fées a fortement diminué, même si leurs interactions avec les humains n’ont pas changé.

Les détracteurs de Conan Doyle ne font que dénigrer la réalité des prises de vue et l’auteur de l’article qu’ils font passer pour un naïf, mais aucun n’arrive à démontrer une quelconque tricherie.

Le 12 janvier 1921, le nom réel d’Elsie Wright/Frances est révélé ouvertement par la Westminster Gazette, ainsi que l’endroit, la rivière Beck de Cottingley, où ont été prises les photos (Do fairies exist ? Investigation in a Yorkshire Valley. Cottingley’s mystery. Story of the girl who took the snapshot.). Ce qui va déclencher une ruée de curieux et de parasites vers le Yorkshire.

Chacun se prépare pour un pique-nique à la campagne, charge ses caméras, prépare ses filets à papillon et ses nasses (certaines fées sont aquatiques). Certains admirateurs des fées portent parfois un badge montrant sir Arthur Conan Doyle et Frances.

Les enfants vont prendre le thé avec les fairies.

Le matériel présenté dans cet article est un très rare ensemble d’objets qui fut utilisé durant l’été et l’automne 1921 par Peter Cairns, alors âgé de 16 ans, et sa famille (ses sœurs Winnie et Marjorie). Il comporte le matériel de pique-nique, des pierres à fées (holey stones), un filet à papillons, une nasse en jonc (de type Thai), une mini table en ivoire et ébène et 4 chaises, un petit service à thé pour poupée, une couronne pour la reine des fées (Mab, Titania, Old Moss, Bahee, Gwenhidw…) et un jeu de cartes évoquant Alice au pays des merveilles, deux appareils photos. Une boîte en fer blanc (Huntley & Palmer suitcase) contient bracelets et collier avec des clochettes – probablement pour se protéger des mauvaises fées. Il y a aussi un filet de protection contre les insectes pour les aliments. Cette moustiquaire sera utilisée par Winnie et Marjorie pour couvrir la table et le service et offrir aux “fairies” une sorte d’abri.

Elles servent donc des petites friandises sur la table miniature avant de couvrir cette dernière de la moustiquaire. Elles passent donc un moment à jouer à la dinette, puis courent à gauche et à droite avec le filet à papillon et la nasse, avant de jouer à d’autres jeux.

Hélas, aucune fée ni photo du petit peuple ne sera prise durant le pique-nique.

Toutefois, lorsque les Cairns quitteront l’endroit où ils ont passé la journée, Peter découvrira que le dessus de la moustiquaire est percé et qu’un minuscule couteau à lame pliable reste pris dans le voile.

Toute sa vie, il restera convaincu de l’existence des fées et conservera précieusement les objets liés à sa découverte.

Après 1921, l’intérêt pour les fées disparaît et les deux gamines, lassées de l’agitation qu’elles auront déclenchée, se désintéresseront du sujet.

En septembre 1922, Conan Doyle publiera son livre “the Coming of the Fairies” chez les éditeurs Hodder & Stoughton Ltd.

En février 1923, The Cottingley Fairies: An Epilogue sera le dernier article de Conan Doyle sur les fées de Cottingley.

Edward Gardner publiera en 1945, le livre “Fairies; A book of Real Fairies” résumant les événements.

Frances et Elsie ne lèveront jamais totalement le doute sur l’authenticité des photos de fées et, en fin compte, les détracteurs n’arriveront jamais à prouver le trucage.

Winifred (Winnie), Marjorie et une troisième sœur non identifiée (Little Bo-Peep, Alice et le petit Chaperon Rouge).

Finding a Fairy

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05/12/23