Sex and drugs and Monkey’s Paw

Sex and Drugs and Monkey’s Paw

Pour protéger la vie privée, certains noms et lieux ont été modifiés.

C’est Marie qui accueillit le vieil homme au musée à  11h du soir. Comme je sillonnais la France pour une tournée de conférences, elle se retrouvait seule au milieu des « hantiquités », ce qui ne la dérangeait nullement. Mais ouvrir la porte à un inconnu au milieu de la nuit, ce n’est vraiment pas dans ses habitudes, même si le visage sur l’écran de surveillance était celui d’un septuagénaire fatigué. Armée d’une batte de base-ball, et après avoir discuté au travers de la porte, elle fit entrer le visiteur.

Il s’excusa longuement de son intrusion à cette heure tardive, et demanda à me voir. Il y avait une sorte d’urgence dans sa voix…

Marie lui répondit que j’étais absent et que, jusqu’à nouvel ordre, je n’avais aucun rendez-vous prévu.

Un peu désappointé, il se présenta.

Il s’appelait Paul Devresse et venait du fond de la Belgique, d’un bled paumé pas loin de Bertrix, pour voir le Surnatéum. Il avait trouvé l’adresse sur internet et voulait absolument se débarrasser d’un objet « perturbant ».

Marie, toujours méfiante, sait que nos collections s’enrichissent parfois grâce aux dons de gens trop superstitieux. Elle le fit monter au cabinet de curiosité et lui offrit une tasse de café. Son aspect lui faisait un peu pitié et elle finit par oublier ses angoisses. Elle prit une feuille de papier et un Bic, et nota l’histoire suivante.

Paul posa sur une table un sac élimé duquel il retira une boite à cigare, une drôle de cloche et une vieille pochette en tissu Banjara. Marie aperçut un Chilom (pipe à haschisch) et une vieille clé de Kombi VW.

Témoignage de Paul Devresse

Je suis né en 1946 et, jusqu’à 21 ans, j’ai vécu à Frahan. Je dois vous avouer que village plus mort, ça ne doit pas exister, il y a essentiellement des moutons et de l’ardoise, et n’importe quoi aurait été mieux que d’y rester.Je ne connaissais le monde qu’au travers de ma radio. A cette époque, la guerre du Vietnam et le Flower Power étaient régulièrement à l’ordre du jour, et je m’évadais en rêve. Qui plus est, 1967 était promotionnée comme année internationale du tourisme par ‘UNESCO.  Au jour de ma majorité, j’ai décidé de partir  sur les chemins de Katmandou pour vivre la Grande Aventure et quitter ce monde bourgeois moribond. Avec un peu d’argent en poche, un gros sac à dos  et beaucoup d’insouciance, j’ai décidé de faire de l’auto-stop sur la « Hippie Trail », l’ancienne Route de la Soie qu’empruntaient les voyageurs depuis des siècles, devenue  l’incontournable chemin des hippies vers l’Inde et le Népal. Je ne vous détaillerai pas le voyage ni les rencontres extraordinaires que j’ai faites, et il m’a fallu environ quatre mois pour atteindre la frontière irano-afghane. En  Afghanistan, le haschisch était en vente libre, et je rêvais d’expérimenter les paradis artificiels.

C’est à la frontière que j’ai rencontré Moritz Jacobs. Il était autrichien et conduisait un minibus Kombi Volkswagen rouge et blanc. Il m’a embarqué et comme j’avais un permis, je pouvais le relayer au volant. Nous étions plusieurs à bord, partagions les frais d’essence et passions les soirées à chanter et à refaire le monde en citant Kerouac et Ginsberg. J’avais acheté un chilom et nous partagions la ganja qu’on pouvait se procurer à tous les coins de rue. Je dois avouer que nous faisions une consommation un peu abusive de chanvre indien, ce qui n’était pas toujours idéal pour conduire… Mais bon ! L’atmosphère Flower Power nous donnait l’impression d’être les maîtres du monde. Les passagers changeaient souvent, mais nous restions ensemble car nous voulions tous les deux arriver à la Freak Street de Katmandou, la rue où on pouvait se procurer tous les psychotropes possibles et imaginables.

Entre les pannes et les crevaisons, nous sommes arrivés dans la capitale népalaise en septembre 67. Nous nous sommes installés dans un logement sommaire et avons vécu de petits boulots, d’un peu de trafic et de combines diverses. De toute façon, la vie ne coûtait vraiment pas cher sur place. Moritz était plus accro que moi et je pense qu’il était assez fortuné.

Il ne manquait plus à mon bonheur qu’une petite amie. A mon âge, une grande timidité vis-à-vis des filles me laissait encore vierge. Mon pote, quant à lui, était un vrai tombeur.

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Je l’ai rencontrée le 15 novembre à Hanuman Dhoka, sur Durbar Square, près de la statue du dieu Singe qui orne la place. Un ami  à Moritz venait de  photographier la jeune hippie peu avant pour un magazine américain. Ce fut le coup de foudre immédiat et apparemment réciproque. Elle avait un regard un peu mystique et venait au Népal pour chercher une spiritualité. Contrairement à l’idée qu’on se fait des hippies et du ‘Peace and Love’, Sofie avait énormément de pudeur, et notre relation fut très chaste au début. Moritz semblait également fasciné par elle, mais la fidélité de ma copine était sans faille. Et elle fumait peu, un pétard de temps à autre, sans plus. On se faisait plein de petits cadeaux, elle m’avait offert une très belle cloche de temple, ancienne, à l’effigie du Dieu Hanuman. Elle marquait ainsi le lieu de notre rencontre, et cet objet devint pour moi une sorte de fétiche; il m’arrivait de faire une petite offrande au dieu-Singe en glissant sous la cloche une friandise ou un peu de hash. Parfois le petit cadeau disparaissait mystérieusement, mais je soupçonnais Moritz et mes potes de les voler*…

De ma part Sofie avait reçu un joli bracelet tout simple avec des noix sacrées, des rudraskhas, et des perles de verre noir. La légende voulait que celui ou celle qui portait ces noix, consacrées à Lord Shiva, était protégé des morts violentes.

Et puis, tout changea brutalement, fin janvier 1968.

Ce soir-là, on fêtait le Nouvel An chinois avec des potes, l’année du Singe de Terre. (Ce sera le jour de l’Offensive du Têt au Vietnam). Moritz était sorti sur Freak Street pour acheter de quoi planer un certain temps et, quand il revint, il avait un regard bizarre. Quelque chose d’indéfinissable mais terriblement pernicieux qui me mit mal à l’aise. Il avait ramené un charas “malana cream”, la Rolls Royce du cannabis. Nous fumâmes le chillum et je tombai rapidement endormi. Ce qui est inhabituel car je tenais bien le hasch, mais avec la pureté du charas ça pouvait se comprendre. Quand je me réveillai, Sofie était nue et vautrée dans les bras de mon pote. Le choc pour moi  fut extrêmement violent, mais je mis cette situation sur le compte de la drogue. [Détail étrange: ma cloche de temple était fêlée, sans raison apparente.]

Mais au cours des jours qui suivirent, rien ne changea. Sofie avait l’air complètement hypnotisée par l’Autrichien, et m’ignorait totalement. En plus, sa consommation de drogue augmenta fortement, comme si elle luttait contre quelque chose qui s’était emparée d’elle. Quand j’interrogeais Moritz sur ce brusque revirement, il fit semblant de ne pas comprendre et dit simplement : « That’s Life ! ».

Quelques jours plus tard, j’emballai mes quelques possessions et décidai de rentrer en Belgique, l’aventure népalaise me laissant un goût amer. Une fois chez moi, j’ai repris une vie ordinaire, sans la moindre aventure ni passion, jusqu’à ma retraite.

Mais il y a un mois de ça, j’ai revu mon ami autrichien. Il est venu me rendre visite dans mon bled. Son aspect était effrayant, il ressemblait à un zombie anémié qui n’avait pas dormi depuis une quarantaine d’années et faisait 20 ans de plus que son âge. Sur sa veste, il portait un petit ruban noir, signe de deuil. Je l’accueillis amicalement, l’invitai à s’asseoir et lui offrit un verre. Et nous évoquâmes nos jeunes années. La blessure concernant Sofie s’était refermée depuis longtemps.

Pendant que nous discutions, il posa un petit sac sur la table. Je connaissais cet objet, je  l’avais troqué à des nomades Banjaras en Inde. Je me rappelais qu’à l’époque, un petit  badge en métal – aujourd’hui disparu –  représentant un visage de bouddha souriant,  ornait le tissu.  Quand j’étais parti, j’avais laissé ce sac derrière moi, le revoir me ramena quelques décennies en arrière. Moritz  plongea la main dans la pochette et en sortit un vieux chilom. Celui que j’avais acheté au moment de notre rencontre. Il me dit que l’objet me revenait et qu’il se faisait un plaisir de me le rendre. Avec un petit sourire, je me levai et allai chercher un objet dans un tiroir. C’était un porte-clés sur lequel était attachées les clés de son Kombi VW. En quittant Katmandou, j’avais emporté cet objet, moitié par distraction, moitié par dépit. Il eut une moue amusée et me dit que ça l’avait embêté, mais que finalement quelqu’un avait changé le cylindre. De toute façon, son véhicule avait définitivement rendu l’âme peu de temps après mon départ.

Je lui demandai des nouvelles de Sofie. Il se rembrunit, mais se mit à parler, on aurait dit qu’il voulait se libérer d’un poids énorme. Que c’était la raison principale de sa visite. Il replongea la main dans le sac et en tira l’objet le plus étrange que j’ai eu l’occasion de voir. C’était une sorte de Patte de Singe aux doigts très allongés. L’un d’entre eux était énorme. Je me demandai de quelle bestiole ça pouvait provenir.

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–          « Quand je suis allé chercher du hasch, le soir où tu m’as retrouvé enlacé avec Sofie, je suis tombé sur un marchand assez retors. On m’avait signalé qu’il avait le top des charaz, le Malana Cream, mais il fallait quitter la Freak Street et s’aventurer hors des sentiers battus.

J’ai trouvé la boutique, il y avait le charaz que je désirais. Le vendeur était un hindou dont la minuscule échoppe regorgeait de trucs bizarres comme on en trouve un peu partout là-bas : dieux en bronze et masques très colorés en bois, tissus bigarrés, plats en argent et en cuivre, breloques pour touristes et encens,  mais parmi tous ces objets, cette patte était de loin l’objet le plus étrange. Il me dit, d’un ton mielleux que ce charme était dangereux. C’était un talisman ramené d’une île lointaine, près de l’Afrique, qui était chargée du pouvoir d’exaucer trois vœux. Un Sâdhu Aghori, un Saint Homme aux pouvoirs magiques immenses, l’avait possédée un moment, pour tester sa détermination. Mais aucun Népalais ni Indien, même le plus misérable des Intouchables, n’aurait osé jouer son karma à essayer de changer sa destinée. Il me mit en garde sur le fait que les effets des souhaits pouvaient être destructeurs. Pour activer la patte, il suffisait de la tenir en main droite et de penser fortement au désir à exaucer. Habile vendeur, il excita évidemment ma curiosité, bien que je ne croie plus aux fables depuis longtemps. Je payai la ganja, la patte et je revins à l’appartement. Je ne tardai pas à l’oublier dans le sac, en restant toutefois un peu inquiet. Nous avons fumé notre herbe et, Sofie s’est retrouvée dans mes bras. Toi tu roupillais comme une souche. Quand tu t’es réveillé, j’ai compris que notre relation ne serait plus la même.

Tu as fini par nous quitter, et Sofie est devenue vraiment collante, elle ne me lâchait plus. Et elle devint ‘addict’ à la came et le shit ne lui faisait plus d’effet. Il lui en fallait toujours plus et de plus en plus forte. Un soir, j’ai ramené du Brown Sugar, de l’héroïne de mauvaise qualité. Je ne sais pas avec quoi les vendeurs l’avaient coupée, mais c’était une vraie saloperie. Moi j’étais complètement ‘stoned’, mais Sofie ne décollait pas. Comme elle s’énervait, je pris le talisman en main et souhaitai qu’elle ait le trip de sa vie. A ce moment, j’ai ressenti une sorte de décharge électrique dans le poignet, et je lâchai la patte. Dans la soirée, Sofie fit une telle crise d’overdose qu’elle faillit se jeter par la fenêtre, et tomba dans le coma. Transportée d’urgence à l’hôpital, le médecin lui laissait peu de chance de survie. Pendant cinq jours, elle ne bougea pas. Désespéré et me sentant coupable, je retournai à la chambre  et pris l’objet maléfique. Je souhaitai que Sofie revienne à la vie et… mon vœu fut exaucé. Mais c’est un zombie qui se leva du lit. Elle bougeait mécaniquement et se dirigea vers moi. Son amour était plus présent que jamais.

J’ai passé le reste de ces années à m’occuper d’elle. Elle est morte récemment. Sa dernière pensée a été pour toi, et elle m’a demandé de te rendre le petit bracelet que tu lui avais offert à l’époque. Il se trouve dans la pochette.

En entendant le témoignage de Moritz, je ne pus m’empêcher de poser une question. Avait-il utilisé la Patte de Singe pour me prendre Sofie ?

Il ne répondit pas, prétexta qu’il allait rater son train et me quitta brutalement en laissant le sac, la Patte, le chilom et les clés.

Depuis,  conclut Paul, je dors mal, mes rêves se transforment en cauchemars dans lesquels une créature maléfique se rit de moi. Je n’ose pas brûler les objets, je ne sais comment m’en débarrasser. J’ai fait des recherches sur internet et, en fin de compte, j’ai trouvé l’adresse du Surnatéum. Peut-être que vous saurez comment agir.

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Une question reste désormais en suspens : reste-t-il un vœu à faire ?

Quoi qu’il en soit, ne comptez pas sur moi pour essayer.

Note : Nous avons examiné la Patte de Singe et il semble qu’il ne s’agisse pas d’un singe, mais d’un lémure de Madagascar. Une sorte de aye-aye géant, espèce supposée disparue et surnommée trétrétrétré (Daubentonia Madagascariensis ou Palaeopropithecus,) par les locaux. Cet animal est considéré comme extrêmement maléfique et les sorciers utilisent sa patte comme amulette malfaisante et comme instrument divinatoire. Le vendeur n’avait peut-être pas menti.

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*J’ai eu l’occasion de croiser Paul récemment à une expo à Binche et d’approfondir avec lui certains détails de l’histoire. Il me dit qu’un jour il vu un petit singe entrer par la fenêtre de sa chambre, soulever la cloche et s’emparer de la friandise qui était cachée sous la cloche. Puis remettre la cloche en place… Mais ça n’explique pas tout.

Il utilisait la cloche et une lampe à huile dans un petit rituel appelé AArti (ou Arati), sorte de purification matinale et vespérale par le feu.

https://fr.wikipedia.org/wiki/%C4%80rt%C4%AB

 

 

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15/08/14