L’œuf de Koschei

D’après un conte traditionnel russe.

Koschei a 20 ans en 1897, ce jour-là il participe au tirage au sort de la conscription nationale en France. Il n’a pas trop envie d’être choisi et pense qu’il peut échapper à 5 ans de service militaire en payant un remplaçant s’il tire un mauvais ticket. Koschei est un jeune homme de bonne famille, arrogant et méprisant pour le « bas peuple », l’argent familial semble lui donner tous les droits.

Il se rend à la ville et galope à vive allure, ça le détend. Accidentellement, sur la route il renverse une vieille dame qui va vendre des porte-bonheur et des œufs au marché local. Il descend de cheval, insulte la grand-mère pour avoir effrayé sa monture. Il la cravache au visage. Les passants sont scandalisés et se précipitent pour aider la victime qui peine à se relever. Elle murmure quelque chose d’incompréhensible et fait un geste de malédiction en pointant l’index et l’annulaire (la corna ) vers le cavalier qui s’est déjà remis en selle. On entend juste « … puisse l’Enfer t’accueillir… » .

Au tirage au sort, il reçoit un mauvais numéro, l’obligeant à effectuer 5 ans de service militaire. Sa malchance commence. Personne ne veut lui racheter son billet malgré la somme importante qu’il offre. Comme il craint pour sa vie, on lui recommande de consulter la vieille Baba, la «sorcière» du village voisin. S’il est trop tard pour favoriser la loterie, elle peut toutefois lui fabriquer un charme qui le protégera et l’empêchera d’être tué à la guerre, s’il y a lieu. Sa réputation de jeteuse de sorts est fortement établie dans la région. Elle est un jour arrivée avec une kumpania de gitans, s’est liée à un gars local dont elle a eu un enfant et finalement s’est sédentarisée.

Elle vit de ses poules et de ses canards, cultive un jardin d’herbes étranges et surtout inspire une crainte respectueuse autour d’elle. Elle tire parfois les cartes, lis les lignes de la main et ses sorts sont réputés.

Koschei est très superstitieux, il se rend chez la sorcière et reconnaît la grand mère qu’il a maltraitée. Sa jambe est bandée avec un emplâtre et elle ne peut marcher. Sa fille veut évincer le visiteur, mais la vieille dame calme le jeu et propose une tisane. Méfiant, il refuse, on ne sait jamais avec ces rebouteuses…

Toutefois, elle accepte, contre une somme importante, de lui créer un charme puissant, elle garantit sur la tête de sa fille que le sortilège est efficace à 100 %. C’est une ancienne magicienne russe qui lui a transmis le secret.

Dans une vieille malle remplie d’objets étranges, elle saisit un œuf de canard évidé dont la coquille est intacte, mis à part un petit trou au sommet.

Elle demande à Koschei de lui donner 7 cheveux de sa tête. Ensuite, à l’aide d’une fine aiguille, elle pique l’index du jeune homme et introduit l’aiguille ensanglantée et les cheveux dans le petit orifice. Elle demande enfin au conscrit de souffler dans la coquille d’œuf.

Elle prononce quelques paroles magiques, trace un signe kabbalistique invisible dans l’air à l’aide de sa canne et tend l’œuf au garçon. Tant que l’œuf reste intact, il sera protégé de la mort. Mais s’il se brise, la protection sera détruite. A lui de le mettre en lieu sûr.

Celui-ci réfléchit, il va partir Dieu sait où et n’a pas une confiance mortelle dans son entourage. Un de ses frères pourrait avoir envie d’hériter et un choc est si vite arrivé.

Il demande donc à la sorcière de garder le talisman, il viendra le rechercher à la fin de son service et lui paiera une somme supplémentaire.

Koschei est envoyé dans la marine.

En 1900, il part en Chine avec le corps expéditionnaire français pour participer à la Guerre des Boxers. Il embarque à Toulon. Après 45 jours en mer, il arrive à au port de Taku. Il sera incorporé dans le 16e régiment d’infanterie coloniale.

Dès le départ, les choses ne se passent pas bien et il est grièvement blessé dans une explosion. Il perd les bras et les jambes, devient aveugle et ne peut s’exprimer, mais ne meurt pas.

C’est totalement incompréhensible pour les médecins, il aurait dû être tué net.

Malgré la morphine, il souffre horriblement, mais reste en vie.

Bien que son état soit gravissime, il est évacué vers Hiroshima au Japon à bord du navire-hôpital Halmaï-Maru.

Koschei passera d’hôpital en hôpital jusqu’à ce qu’on perde sa trace…

Bien entendu, il ne reviendra jamais chercher son talisman.

On raconte qu’il traîne toujours dans une chambre d’hôpital, dans un enfer éternel.

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02/02/22