le Djinn الجن

On trouve de tout dans ces brocantes pour magiciens !

Des canards en bois, un exemplaire unique de Wawa le Chien, des ouvrages anciens hors de prix, des gobelets en or massif (chromés pour qu’on ne les vole pas) et même une photo d’un cartomane français has-been – soldée à -90 % dédicacée à son ami Morbax.

Mon œil fut attiré par un marchand étranger, enturbanné comme un Gali-gali, le magicien d’Afrique du Nord, qui présentait sur son étalage quelques objets plus curieux que ceux de ses confrères.

Il m’apostropha d’une voix mielleuse.

« Effendi , veux-tu acquérir pour une somme modique, une petite bouteille contenant un imp ? »

Je connaissais l’expression « Imp » qui désigne une sorte de lutin, sans plus de vraie précision. Les illusionnistes sont friands de ces diablotins qui illustrent maints de leurs posters professionnels.

Le marchand posa devant moi un petit flacon en bois, de très belle finition, au ventre bombé surmonté d’un long col. Le tout devait mesurer 10 cm de haut.

« L’habitant, prisonnier de cet objet, peut réaliser trois vœux pour son propriétaire. Regarde effendi, il a un poids inhabituel. Si on le couche, il reste en position, quelle que soit l’orientation qu’on lui donne. L’imp le garde penché. Tu peux l’avoir pour 50 dirhams. »

Une rapide conversion en euros me donna moins de 5 €, un prix totalement ridicule pour cet objet.

Je demandai au vendeur pourquoi le prix était si bas. Où était l’arnaque ?

« Comme pour la nouvelle de Robert Louis Stevenson (the Bottle Imp/le Diable dans la bouteille), une fois réalisés les trois souhaits, tu dois revendre l’objet un peu moins cher que le prix que tu l’as payé. L’âme de celui qui mourra en possession du flacon remplacera son habitant. Mais, il te reste toujours le moyen de le revendre. En plus du flacon, je t’offre cette clochette et cette petite ardoise. Elles seront utiles»

Bon, amusé par le boniment, je payai l’équivalent de 5 dirhams et devins propriétaire de l’objet.

« Pour faire les vœux, tu dois agiter cette clochette pour réveiller celui qu’il abrite. Ensuite, tu le salues et tu te présentes. Reste courtois et tout se passera bien. »

Le flacon était redressé. Je le posai sur la paume de ma main gauche, agitai la clochette de l’autre main. Je donnai mon prénom et lui demandai qui était le nouveau maître de la bouteille.

A ce moment, le flacon s’inclina tout seul en dirigeant son col dans ma direction. Il m’indiquait clairement à qui il obéissait. Je lui dis qu’il pouvait se relever. Il se redressa instantanément.

Puis, méfiant, je demandai à l’Imp qui il était. Rien ne se passa !

« Effendi, tu oublies d’agiter la clochette, susurra le marchand avec un sourire, et utilise l’ardoise pour la réponse. N’oublie pas la craie… »

Je fis donc tinter la clochette et introduisis la craie dans le col du flacon.

Aussitôt, une inscription en arabe (الجن) apparut sur la surface noire. Le vendeur me traduisit ce qui était écrit : « Le mot signifie DJINN, un être puissant et parfois malveillant des contes de 1001 Nuits. »

« Pourrais-je récupérer ma craie, ô Djinn ! »

Rien ne se passa. Je secouai le flacon, la craie semblait coincée dans le goulot. Accidentellement, la petite bouteille heurta la clochette et la craie se libéra.

Il était temps d’essayer mes trois vœux !

Je demandai d’une voix claire et nette : « Je désire être infiniment riche, beau et aimé des femmes ! » Restons simple !

J’agitai la clochette. Mais aucun son ne fit tintinabuler le petit objet, il resta totalement silencieux.

Je regardai le vendeur d’un air intrigué.

« Effendi, tu as fait tes trois vœux ! Il ne te reste plus qu’à revendre le flacon et les objets à quelqu’un d’autre. Bonne chance. N’oublie pas de le prévenir des conséquences de son achat. »

Depuis, je traîne ce truc dont personne ne veut. 

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14/02/24