09/12/21
eresa Carnet de croquis d’un costumier de théâtre de la seconde moitié du XIXe siècle (Troisième République). Il s’agit des dessins préparatoires pour les costumes de la pièce des Trois Mousquetaires, tirée du roman d’Alexandre Dumas père (et Auguste Maquet).
Les croquis semblent avoir été dessinés pour préparer une soirée costumée comme celles données par le baron Lycklama ou le banquier Emile Gaillard dans son hôtel de la place Malesherbes (Paris), ce qui expliquerait la haute qualité des accessoires. Voici un extrait des commentaires à propos d’une soirée sur le thème de Charles IX et Henri II, le 10 avril 1885.
“La réception bat son plein : « L’orchestre Desgranges, composé de vingt musiciens costumés, est placé dans une loggia pratiquée dans le grand salon. On l’entend, sans le voir, dans la galerie1, longue pièce toute tendue de tapisseries des Flandres, où la danse se déroule, en même temps que dans le grand salon… À onze heures, surprise : entrée d’une noce turque, à côté de laquelle pâliraient singulièrement les turqueries un peu fripées que la Comédie Française nous fait voir dans le Bourgeois Gentilhomme. Un jeune peintre de grand talent, M. Albert Aublet, qui figure lui-même dans le cortège en maître des cérémonies, a été le grand organisateur de ce tableau vivant, marchant, parlant et musiquant… Si l’on a admiré et fêté cet intermède, je vous le donne à penser. » (Le Gaulois, 11 avril) ; « Vers trois heures, tous ces personnages historiques ont soupé, assis, par groupes à d’innombrables petites tables placées dans la salle à manger et dans la galerie, et à six heures du matin, Alexandre Dumas, assis sur sa chaise de bronze, voyait, du haut de son piédestal, les personnages de la Reine Margot et de la Dame de Montsoreau, remonter dans les équipages qui les avaient amenés à cette fête merveilleuse. » (La Presse, 12 avril 1885).”*
Paris 1889
l’Exposition Universelle de Paris commémore le centenaire de la Révolution française. L’effervescence est à son comble et le monde entier semble s’être donné rendez-vous dans la capitale.
Les soirées mondaines s’enchaînent les unes après les autres offrant aux invités une visibilité hors du commun, à condition d’y être invité. Les courtisanes, demi-mondaines et autres cocottes rêvent d’y participer ; Liane de Pougy, Emilienne d’Alençon et la Belle Otéro commenceront leur ascension à cette occasion et la compétition est féroce.
La soirée à laquelle participe Mina est consacrée à Louis XIII.
Mina – une très jolie fille de 22 ans – est actrice et rêve de faire une carrière de demi-mondaine. Être belle est un avantage, mais ajouter l’intelligence et la culture au charme est un plus appréciable. La troupe de comédiens et d’acrobates dont elle fait partie gagne son pain en jouant des saynètes* dans des soirées privées. Mais pour faire la différence avec d’autres troupes, les costumes doivent être parfaits. Contrairement à une pièce de théâtre qui ne nécessite pas d’accessoires “authentiques”, un bal travesti ou une mascarade permet d’être bien plus pointu sur les détails. Surtout si l’organisateur est un collectionneur et un connaisseur, capable d’apprécier ce genre de finesse.
Digne disciple des grandes escrimeuses du XXIe siècle, comme Teresa Castellanos de Mesa et del Castillo, Mina manie également l’épée avec une remarquable maestria. Et les épées utilisées pour les spectacles ne sont pas mouchetées, ce qui ajoute du “piquant” aux démonstrations.
Présentement, la petite troupe jouera quelques extraits des Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas père. Une des scènes préférée de la jeune femme est le duel qui l’oppose – peu vêtue – à d’Artagnan dans le chapitre intitulé “le secret de Milady“. La saynète est un striptease à peine déguisé mélangeant danger et érotisme: Eros et Thanatos…
Probablement un des premiers striptease joué à Paris, en privé, même si on date en général de cinq ans plus tard.
Le tailleur, dont l’Histoire n’a pas retenu le nom (on sait qu’il est belge d’origine comme la jeune actrice), accepte de créer les travestissements de la soirée. Il sera présent pour les ajustements, cela va de soi et peaufinera particulièrement le costume de Milady de Winter, ennemie de d’Artagnan. Ce sera son chef-d’œuvre et Mina, qui joue Anne de Breuil ( / Charlotte Backson / Lady Clarick), lui offre un contrat juteux. Les costumes de l’amphitryon de la soirée, de sa famille et de certains comédiens vont lui rapporter une belle somme.
Sachant que les hôtes joueront les rôles du roi Louis XIII, de la reine Anne d’Autriche et du cardinal de Richelieu, la cocotte préfère ce personnage apparemment secondaire du roman, la Némésis de d’Artagnan. Après tout, elle partage avec Milady son charme irrésistible, sa blondeur et ses yeux bleus et probablement d’autres qualités moins avouables…
Bien entendu, participer à une de ces soirées, c’est se mettre en valeur et rencontrer des messieurs fortunés. Mina aimerait rejoindre le cercle assez fermé des courtisanes de haut vol. Le tailleur crée une robe très seyante, et l’accompagne d’accessoires superbes et rares pour son personnage.
Mais “Milady” garde également une botte secrète pour impressionner son public; elle est aussi magicienne…
*le Secret de Milady, la Bourse de Fortunatus et la pistole volante, le Lasso de Planchet, les Mousquetaires du roi et les Gardes de M. le Cardinal, le vin d’Anjou…
Constance Bonacieux, lingère de la reine Anne d’Autriche et maîtresse de d’Artagnan
Milady de Winter et Constance Bonacieux
Planchet, serviteur de d’Artagnan
Constance, d’Artagnan et Athos
d’Artagnan à cheval
Rochefort, d’Artagnan et Richelieu.
Parmi les accessoires, on trouve une fine dague du XVIIIe siècle à la lame étonnante (Miséricorde/Stiletto inspirée de la Renaissance*), une bague memento mori/lacrymatoire du XVIIe siècle qui passera pour une bague à poison, un crucifix du XVIIIe siècle, une balle de mousquet et l’apôtre (une charge), un mouchoir portant l’initiale M (Mina/Milady), un flacon à poison, une épée de cour, un chapelet de carmélite (pour Constance) et une Fleur de Lys (1889, souvenir de la Tour Eiffel, clin d’œil évident à la marque tatouée sur l’épaule de Milady.) Ce dernier colifichet sera porté épinglé sous ses vêtements à l’épaule comme clin d’œil à son personnage: si quelqu’un lui demande si elle est marquée comme Milady, elle dévoilera la petite broche…
Il y a aussi les éléments d’une taverne pour jouer un “swashbuckling” (bagarre de taverne) ou le chapitre XLII du roman, intitulé “le vin d’Anjou” et le blanc-seing accordé par le cardinal de Richelieu à Milady de Winter.
Note: Le portrait qui illustre cet article représente la reine Anne d’Autriche. (Sans son chapeau)
“…elle avait un chapeau de feutre
avec des plumes bleues, un surtout en velours
gris perle rattaché avec des agrafes de diamants,
et une jupe de satin bleu toute brodée d’argent.
Sur son épaule gauche étincelaient les ferrets
soutenus par un nœud de même couleur que les
plumes et la jupe.”
* à propos du stiletto
*un lien à consulter: https://www.citeco.fr/1885-soir%C3%A9e-d%E2%80%99exception-%C3%A0-l%E2%80%99h%C3%B4tel-gaillard?fbclid=IwAR3sHzHe8hyszCL3To8ZFU_1qW_VWtIiyLU9YtP2nzJAMSQjEyC6IcmBigg
09/12/21