Madeline

La cloche de la porte du salon funéraire tinta.

Willie vit entrer une vieille connaissance appuyée sur une canne d’ébène, elle avançait lentement et semblait essoufflée.

Madeline, venez vous asseoir. Désirez-vous une tasse de thé ?

L’octogénaire accepta un siège, mais refusa la boisson. Elle n’était pas au mieux de sa forme.

Depuis combien de temps nous connaissons-nous, Willie ? Plus de cinquante ans, certainement. C’est votre père qui avait pris soin de mon petit Paul. Paix à son âme. Il avait aussi enterré Georges quelques années plus tard.

Effectivement, c’était dans les années 30, si ma mémoire est bonne. Comment allez-vous ?

Le médecin me donne au maximum un mois à vivre, et je voudrais régler certains détails avec vous. Après tout, nous avons partagé plus d’une soirée « spirite », et je pense que vous pourrez comprendre mes dernières volontés.

Je désire que vous vous occupiez de mes funérailles, je suis veuve et sans famille et ne fais confiance à personne d’autre pour mon enterrement.

Madeline sortit une petite bourse de son sac à main. Elle en tira quelques pièces de cuivre. C’étaient des pence anglais. Elle demanda à Willie de prendre soigneusement note de ses dernières volontés.

Faites un moulage en plâtre de mon visage et conservez-le à l’abri des regards.

Vous embaumerez ma dépouille, la placerez dans un cercueil en chêne noirci et laisserez les rares visiteurs du funérarium, s’il y en a, lui dire au revoir.

Quand le dernier visiteur aura quitté les lieux, vous placerez deux de ces pièces sur mes yeux. Il est extrêmement important que vous posiez ces pence en même temps sur mes yeux. Je ne veux pas être éblouie par la Lumière Divine, si jamais j’arrive au Paradis. Surtout, ne les posez pas l’une après l’autre. N’ayez pas pitié de moi, j’ai assez vécu et espère revoir mon cher mari et mon petit Paul de l’Autre Côté.

Si vous accomplissez parfaitement mes volontés, nous pourrons toujours essayer de dialoguer entre les deux mondes.

 

Willie jura que tout se passerait exactement suivant ses désirs et Madeline quitta le funérarium.

L’enterrement eut lieu 40 jours plus tard. Willie était fort ému, il aimait bien la vieille dame.

Quand le dernier visiteur quitta le salon, il ferma la porte à clé et alla chercher deux pièces. Tremblant un peu, il les prit en main droite… Il allait les poser l’une après l’autre sur les yeux de la défunte, lorsqu’il ressentit une sorte de décharge électrique.  Et à ce moment précis, les yeux de la défunte s’ouvrirent et le regardèrent avec un reproche évident.

Jamais, il n’avait eu aussi peur.

Il ferma les poings par réflexe.

Quand il les ouvrit quelques secondes plus tard, chaque main  tenait une pièce.

Il les posa simultanément sur les yeux de la défunte et referma le cercueil.

Il n’osa jamais utiliser le visage en plâtre…

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10/06/19