Prikaza, une lignée de sorcières.

Ki shan I Romani,
Adoi san’ I chov’hani*

*Où vont les gitans, se trouvent les sorcières. 

Inv.SDD/cd-78841 : Coffre de Drabardi/Drabarni/Chovihana/Guérisseuse/Herbaliste

Récolté en 1979 dans un vurdon tzigane abandonné dans les environs de Krakow.

 

Coffre de poupée ancien (probablement fin XIXème siècle et transformé en coffre de sorcière/herboriste) contenant une vierge ou une représentation de Sainte Anne (Ana, reine des kechalis) à laquelle il manque une main, un petit miroir, une longue aiguille à chapeau, un manuscrit de remèdes (daté de 1794) dans une boîte en bois ornée d’un hexafoil, une tasse à café, une dagyde en cire, un jeu de dominos en os, un jeu du Tarot de Marseille incomplet (édition de 1930), divers charmes et amulettes (draba), un jeu de cartes divinatoires dessinées à la main (12 cartes, vers 1850), un jeu de carte annoté (vers 1900), deux vasculums (un grand et un petit) des plantes séchées (ail, pavot, roses sauvages, datura stramonium, belladone, tabac, ricin commun, aconit napel…), un petit mortier en bronze et son pilon, un chapelet de sorcière, des clous de cercueil, une pierre d’aigle, une rotule humaine, une alrune, des fragments de violon, des pierres trouées, divers tissus de protection. Deux quenouilles de fil blanc et brun (représentations de Bacht et Bibacht – chance et malchance/Ourmes), une couronne dorée en métal, un crâne de chat, des grenouilles momifiées , un miroir de sorcière, un kapala humain servant de grand mortier (et son pilon) ou de coupe dans laquelle on récupérait l’eau des sources magiques, une navaja de belle taille (abimée)…

En résumé: beaucoup de poisons végétaux et des éléments de sorcellerie populaire. Le contenu du coffre se transmettait de mère en fille, de sorcière à une autre… Le plus ancien objet “datable” est de 1794.

L’ensemble est accompagné d’un tambourin abîmé sur lequel est attaché un fragment de fourrure d’ours, un petit sac contenant des os, des os de patte d’ours, une passoire en cuivre (la passoire accrochée à l’extérieur d’une maison ou d’une roulotte empêche les mùlos – vampires – d’entrer), et un chandelier représentant un diable couché. Une chandelle fabriquée partiellement à partir de graisse humaine est fixée au centre du bougeoir. Une baguette (probablement en bouleau), une plaque apotropaïque indienne représentant Durga, diverses amulettes complètent l’ensemble.

Témoignage du Collectionneur. L’histoire de Sara et Lissa.

Quelque part dans une forêt entre Krakow et Oswiecim (Pologne), 31 octobre 1979.

 La roulotte semblait abandonnée depuis des mois, et le départ avait dû être précipité. Dans cette clairière perdue au centre de la forêt, il y avait peu de chance de la repérer. C’était un modèle dit « open-lot », avec la partie supérieure en arceau et tout le confort intérieur. Monsieur B., qui  avait conduit le Collectionneur jusque là, n’osait pas s’en approcher. La dernière fois qu’il avait vu Lissa, elle quittait sa kumpania, fin janvier, pour une destination inconnue. Et depuis lors, plus rien…

« Il y a comme une odeur de mort ici, cet endroit est marhimé*  maugréa le gitan entre ses dents.  Personne n’a revu Lissa depuis qu’elle nous a quittés à Krakow et les signes – les patrins – indiquent un danger terrible. Il va falloir brûler la roulotte. Je n’ai pas envie de voir son mùlo* revenir nous hanter. Mais Lissa m’avait demandé de vous prévenir s’il lui arrivait quelque chose. En mémoire du passé et de la protection que vous lui aviez procurée en des temps bien plus incertains. Et après tout, vous êtes son parrain… »

Le Collectionneur s’approcha du vurdon et grimpa lentement les marches qui mènent à la porte. Même s’il paraissait 20 ans de moins que son âge réel, ses articulations le faisaient un peu souffrir et le ralentissaient. Pénétrant dans l’espace clos, il se mit à observer attentivement les signes d’un brusque abandon. Mais rien ne semblait donner le moindre indice sur la disparition de la drabardi ; seule la dernière date barrée sur le calendrier indiquait le 6 février.

L’atmosphère et le silence étaient réellement angoissants, il était évident que personne n’avait visité les lieux depuis des lustres. Aucune trace d’animaux non plus, ce qui augmentait la sensation de malaise. Sur la table, un bougeoir antique en forme de diable, au centre duquel se dressait une chandelle brune, donnait l’impression qu’une opération de magie noire avait eu lieu: l’évocation d’une créature de mythes plus anciens que la mémoire des hommes. Un crâne servant de mortier et son pilon posés à côté allaient également dans ce sens.

Un énorme couteau, un « hausmesser » était planté dans de le bois. Une clé et une grande plume couleur or à la pointe acérée reposant à côté du chandelier ainsi qu’une bague en argent (probablement une offrande)  et l’isolement de la roulotte confirmaient cette impression. Une observation plus attentive de la pointe montrait un peu de sang séché: trois gouttes avaient du être offertes…

A l’extérieur, le cri soudain d’une chouette rompit le silence. Mauvais présage…

Le Collectionneur quitta la maison roulante et inspecta les environs. Coincés dans l’écorce d’un arbre, des poils d’ours indiquaient le passage de l’animal, plutôt étonnant dans ces régions. Tout à coup, l’octogénaire se pencha pour ramasser un objet caché dans les herbes en prenant soin de ne pas retirer ses gants. Il emballa la trouvaille dans son mouchoir et glissa le tout en poche.

« Il faudra effectivement réduire la roulotte en cendres. confirma le Collectionneur.  Il est probable que Lissa ait quitté votre compagnie pour invoquer une aide obscure. Elle ne voulait pas vous mettre en danger et s’est éloignée. Mais il s’est passé quelque chose de terrible ici, on perçoit la présence d’un detlene* et d’autres âmes qui souffrent encore. Elle doit être encore en vie quelque part, mais n’espérez plus son retour. Cette terre est maudite, il n’y a aucun doute. Mais avant de tout détruire, je dois retrouver son coffre de Drabardi, certaines choses ne peuvent être offertes au feu, même purificateur… »

« Prenez ce que vous voulez, aucun rom n’oserait s’approprier le moindre objet ici. Je pense qu’on est très proche de l’endroit où fut anéantie sa famille, il y a près de 35 ans. »

Dans l’espace réduit, derrière une paroi mobile, le coffret fut vite trouvé, il semblait intact. Un tambourin usé et une passoire y étaient fixés par une sangle de cuir. Le Collectionneur emporta aussi le chandelier, la clé, le couteau, les vasculums, la plume et un exemplaire de la revue Historia (361bis) qui traînait (une photo avait été découpée). Le reste fut arrosé d’essence et dévoré par les flammes. Le sol même fut ensuite recouvert de sel.

Le Collectionneur avait compris ce que sa “filleule” avait accompli.

Plus tard, le contenu de la petite malle fut inventorié. Le jeu de tarot de Lissa était incomplet, il manquait parmi les arcanes majeurs : l’Ange (Tempérance), la Mort et le Diable… Ces cartes doivent probablement être enterrées dans une boîte avec un cœur percé de clous, une photo et d’autres éléments peu ragoûtants quelque part dans un bois près de Krakow. Parmi les cendres des victimes d’Auschwitz… Une solakh (malédiction) a été proférée, un pacte établi. Mais quel prix a-t-elle payé pour que le châtiment soit exécuté? La poupée dans le coffre était entourée de coques de datura, comme une haie de ronces.

Que s’était-il passé le 7 février 1979 ?

Tout commence vers 1932, presque cinquante ans plus tôt.

Sara Ekali est une drabardi et une drabarni. Dans le monde très fermé des gitans, c’est ainsi que l’on nomme celle qui lit l’avenir des Gadjés (les non-gitans) et connaît très bien les plantes qui guérissent et celles qui empoisonnent. Elle parle aux fées, les kechalis, et aux créatures du monde invisible comme les nivashis. Elle a derrière elle une longue lignée de femmes de pouvoir car ce don se transmet de mère en fille.

Elle est aussi semi-nomade, vit une partie de l’année dans le quartier des Étangs Noirs à Bruxelles et rejoint des kumpanias itinérantes le reste du temps.

Elle doit avoir une trentaine d’années et possède un charme fou, digne d’Esméralda. Une longue tresse de cheveux bruns descend entre ses omoplates. Dans sa kumpania, on la considère déjà comme une sorcière très puissante à la fois crainte et respectée.

Son mari vient de mourir accidentellement dans un combat de boxe à poings nus et son deuil a commencé. Il est censé durer au moins une année…

C’est à ce moment qu’elle croise le chemin du “Collectionneur”. Son obstination d’ethnologue à récolter des objets, livres et témoignages concernant les magies lui ont valu ce sobriquet. Il est également herboriste et collecte plantes et informations sur leurs usages en médecine traditionnelle. Il cherche la mythique “fleur de fougère” qui ne pousse – parait-il – qu’à la saint Jean, la nuit du solstice d’été.

Après tout, qui n’essaye pas n’a aucune chance de trouver.

Ce dernier récolte également des informations sur les mythes roms, leur magie et leur médecine. Mais les bohémiens sont extrêmement méfiants et ne donnent pas ces renseignements à des personnes extérieures à leur culture. Surtout qu’un blond aux yeux bleus ne correspond pas vraiment à leurs critères ethniques.
A force de patience, le jeune homme finit par gagner la confiance de la kumpania et séduit Sara. Quelques temps plus tard, la jeune femme se rend compte qu’elle est enceinte, ce qui va
lui attirer le mépris de sa communauté, on ne rompt pas le deuil aussi rapidement. Elle risque le bannissement, la pire des punitions pour un(e) rom.

Cependant, elle est une fine mouche.

Un matin, elle sort échevelée de sa tente et hurlant « Mùlo!» (Vampire). Le spectre de son mari est revenu en pleine nuit et l’a violée. Le subterfuge fonctionne et Sara transforme sa honte en gloire, en s’entourant d’une aura magique. En effet, une femme qui s’est accouplée à un nivasho ou un mùlo reçoit un grand pouvoir.

Lorsque sa fille naît un samedi couverte de son voile amniotique, (signe qu’elle pourrait être « spéciale »), Sara prépare sa rencontre avec les Ourmes, les trois fées du Destin.

Une tente est entourée d’un sillon rempli de plantes épineuses (houx, coques de datura, aubépine, prunelier…) et une table est servie avec trois couverts, des plats au miel et autres délicatesses. Il faut plaire aux fées pour obtenir un bon destin. Elle sera seule avec sa fille, personne ne s’avisera de les déranger. Elle a également posé deux bobines de fil, une blanche et une plus sombre.

Durant la nuit, trois formes évanescentes vêtues de blanc apparaissent : une des fées tient une bobine de fil blanc (Bacht, la chance), la seconde manipule un fil plus sombre (Bibacht, la malchance) et la troisième entremêle les fils, tissant le futur de Lissa, le bébé.

Mais les choses ne se passent pas bien, le Destin est très sombre pour l’enfant. Sara bondit et arrache les fuseaux, à l’instant même les tisseuses disparaissent, mais la mère vient de se condamner à la place de sa fille.

Elle va très tôt lui transmettre le savoir des ses ancêtres, sachant que son temps sur Terre est désormais limité. Et elle a demandé au Collectionneur d’être “officiellement” le parrain de Lissa. Il acceptera en déposant une pièce d’or dans le berceau de l’enfant.

Lissa grandit et ne présente pas du tout des traits typiques aux gitans. Visiblement, elle a les traits de son père.

Et puis, arrive la Seconde Guerre Mondiale. Les bohémiens et autres gitans sont pourchassés et traqués par les nazis et leurs collaborateurs.

Sara conduit Lissa chez son père et lui demande de la protéger. Le Collectionneur n’hésite pas une seconde et propose d’aider également la mère de sa fille. Mais elle refuse car elle veut fuir et si elle reste, sa fille sera en danger. Elle coupe sa natte de cheveux, la tradition veut que son pouvoir magique s’y trouve, et laisse comme héritage son coffre qui contient la mémoire de ses ancêtres, ses objets de magie. Ce faisant, elle transmet son pouvoir à sa fille. Si elle mourait sans avoir transmis ce coffre, il devrait être détruit par le feu.

Puis, elle s’en va…

Son amant ne la reverra jamais.

Le Collectionneur connaît très bien les mythes liés à la sorcellerie et va compléter l’enseignement de sa fille. Il lui enseigne aussi le hokkani boro, à mi-chemin entre l’illusionnisme et l’arnaque. L’enfant est très éveillée et d’une rare intelligence, elle apprend vite.

les montreurs d’ours (L’illustration Européenne – 8 mai 1875)

Des années plus tard, Lissa est devenue une redoutable sorcière, probablement la plus puissante de sa lignée. Elle a aussi une excellente connaissance des plantes, particulièrement des poisons et substances enthéogènes. Mais ça ne lui suffit pas, elle a une inextinguible soif d’apprendre. Elle demande à son père de l’aider à concevoir une roulotte solide – tirée par un solide “gypsy cob“, un cheval puissant à la robe pie -, car elle veut rejoindre une kumpania, un groupe de Roms itinérants et retrouver la trace de sa mère. Elle sera diseuse de bonne aventure, accompagnatrice d’ursari (qui fait danser les ours), guérisseuse, jeteuse de sort et leveuse de malédiction. Elle sait aussi que le décorum de sa roulotte jouera un rôle théâtral important dans son travail, donc elle travaille particulièrement cet aspect.

Digne fille d’Hécate, Circé, Médée, Erichtho, Pamphile, Galé et Canidia, elle utilisera son art de voyante pour soutirer des informations et va parcourir l’Europe pour peaufiner son art auprès d’autres “sorcières”. Cela prendra des années, voyageant de la Roumanie à la Thessalie en passant par Naples. Et petit à petit, ses connaissances et son pouvoir augmentent.

Et elle remonte aussi la piste des assassins et délateurs des gitans en laissant parfois derrière elle des morts mystérieuses… Beaucoup de gens qui ont dénoncé ses frères aux nazis vont subir son courroux.

Jusqu’à ce jour d’octobre 1979 où l’on retrouve sa roulotte abandonnée entre Krakow et Oswiecim, pas loin de la rivière Sola…

Certains maléfices se transmettent par l’eau.

la Passoire (en dehors de son usage ménager traditionnel, elle sert à divers rituels de guérison ainsi qu’à éloigner les mulés, vampires, sorcières et autres kallikantzaros)

Sainte Anne/Ana, une main “cassée” signifie une mort brutale dans la famille.

 

Boite du grimoire avec l’hexafoil (rosace à 6 pétales, représentation solaire)

La dagyde de cire

le Miroir

L’alrune

le jeu annoté (vers 1900) en français

Jeu dessiné à la main (milieu XIXe siècle en italien)

 

pipe de l’ursari

Petit vasculum pour récolter les simples

*Lexique :

– kumpania : compagnie, groupe de caravanes de roms

– négromancie : magie noire.

– mùlo : vampire

– marhimé : maudit, impur.

– Detlene : esprit vicieux d’un enfant mort-né sans avoir reçu de nom.

– Vrasitoarele : clan de sorciers

– Bandolier : chef de kumpania

– Mamioro : esprit apportant de graves maladies

– Prikaza : malédiction

Chovihano : devin

– Butyakengo : esprit protecteur qui passe de père en fils (ou mère-fille) le premier-né de la famille.

– Ourmes : fées du Destin, présentes par 3 lors de la naissance.

– Kechali : Fées des forêts, liées également au Destin et au pouvoir magique. Ana est leur Reine. Perdent leur pouvoir en même temps que leur virginité. Les esprits tziganes sont des esprits en corps.

– Nivasho /Rusalka: Fées aquatiques, possèdent 6 doigts à la main gauche

– kallikantzaros: Lutins maléfiques tirés du folklore grec. Ils vivent sous terre  pour détruire le monde en sciant l’Arbre du Monde. Mais ils émergent au solstice d’hiver pour jouer des tours aux vivants, pendant ce temps, l’Arbre se régénère.

Kerstnikis : chamans associés aux Viles (Veela) qui chassent sorcières et vampires armés de pieux durant la nuit de la Saint Jean. Tradition proche des Benandanti, mais dans les Balkans.

 

Quelques objets liés à ce coffre

Deux Vasculums

le chasse-mouche

Aétite ou Pierre d’Aigle

Tambourin Divinatoire des Roms

Bâton Prophylactique au serpent

Masha Allah et miroir magique

| Revenir aux articles

13/08/13