31/08/15
Je passe parmi vous depuis des millénaires.
Je suis né dans l’Egypte des Pharaons, la date importe peu, on m’a donné de nombreux noms: Resheph, Nergal, Apollon, Rudra, Pazuzu, Sakpata, Babalu-Ayé, Croatoan, mais mon préféré reste « le Collectionneur d’Os ».
Mes débuts furent lents et délicats, mais j’ai eu mon premier grand succès sous le règne de l’empereur Justinien.
J’ai visité Athènes, Rome, Marseille, l’Angleterre, Venise, Vienne, l’Europe, l’Afrique, l’Asie… pendant des siècles. Et partout j’égalise, je fauche. Je change le cours de l’Histoire en réduisant la puissance de certains états, en anéantissant des familles fortunées et en permettant à d’autres cultures d’émerger. Je dois avouer que j’aime beaucoup certaines villes, Marseille et Venise sont mes favorites. Dans cette dernière cité, on m’honore toujours durant la Fête du Redentore, le Rédempteur. Il existe même une Danse un peu Macabre qui me glorifie, ainsi qu’un Arcane du Tarot sur lequel on n’a pas osé écrire mon Nom…
Vous me verrez parfois galoper sur mon cheval pâle en compagnie de mes trois frères.
Je suis absolument inflexible. Quand j’ai décidé de vous apporter mon cadeau, il n’y a aucune échappatoire, je me nourris de vos derniers souffles, de vos râles et de vos os. Que vous soyez roi ou manant, homme ou femme, enfant ou vieillard, chrétien ou païen, riche ou pauvre, je vous ferai valser avec moi au son du violon et du xylophone sur la musique de Camille Saint Saëns.
Mon cadeau s’appelle la Peste. Vous croyez pouvoir me vaincre, mais rappelez-vous 1918 et la Grippe espagnole, un de mes plus beaux tableaux de chasse.
Mais je ne suis pas insensible, vos artistes et vos créations me touchent toujours ! Je laisse une chance à toute ville.
J’ai une faiblesse humaine : je joue. Mais je croise peu d’adversaires dignes de ce nom, même Le Titien perdit une partie en 1575. Dommage, quel superbe artiste…
Dans chaque cité, je choisis un joueur ou une joueuse au hasard et j’étale mes pièces. Vous décidez de la mise : un chiffre entre 10 et 100. Si vous perdez, j’élimine ce pourcentage de la population. Si vous gagnez, je multiplie par 10 les années durant lesquelles je ne vous embêterai plus. Un seul joueur, un jeune Indien nommé Brahmagupta, m’a battu au VIe siècle, et je vous ai laissés tranquille pendant un bon moment. Je suis bon perdant…
Le pari que je propose a connu divers noms et diverses variantes au cours des millénaires, Fan Tan en Chine, Tiouk Tiouk en Afrique, mais de nos jours on le connait sous le nom de Nim ou de pari de Marienbad. On le joue avec mes pièces, mes règles, mes os. Si certains proviennent d’animaux, d’autres… (Il eut un geste évasif.)
Êtes-vous prêts ?
Le jeune Indien s’assit en tailleur devant le Collectionneur d’Os. Il n’avait aucune crainte, le karma, la vie et la mort lui étaient indifférents, seule l’excitation du défi le grisait.
Le Collectionneur d’Os lui expliqua les règles du jeu. « Il y a une vingtaine d’os sur la table. Tu peux en prendre 1, 2 ou 3. Ensuite, je ferai la même chose. Celui de nous qui ramassera le dernier os perdra. La mise de ce jeu est 80 ; ce qui veut dire que si je gagne, j’emporterai avec moi 80% de la population de ta ville. Mais si tu gagnes, je m’effacerai pendant 800 ans. »
Brahmagupta lui rétorqua que le jeu ne semblait pas honnête, celui qui commençait avait un avantage certain. Il sortit un dé de sa poche et proposa de tirer au hasard, celui qui débuterait. Le point le plus haut tirerait les premiers os. L’adversaire accepta et lança un 6, le jeune homme fit 3.
Après quelques coups, Bhramagupta se retrouva devant un seul os, la Mort était triomphante. Mais les yeux de l’indien pétillèrent un bref instant, et il s’empara du dé en os. « La règle est bien de prendre les os se trouvant sur la table ? Le dé est en os. Donc, je gagne. »
Le Collectionneur d’Os eut un sursaut de surprise. Mais il s’inclina devant l’audace de son adversaire, et ramassa le dernier os sur la table. L’instant d’après, il avait disparu.
Il réapparut 800 ans plus tard…
31/08/15