Artefact

Tunis, 1902

Le vieil Ali Ben Hussein Bey vient de mourir et l’armée française d’occupation veille à ce que la passation de pouvoir à son fils Muhammad El Hadi  Bey se passe sans heurt. Une atmosphère un peu tendue règne dans Tunis. Heidi Bey, homme d’une grande culture, n’a toutefois pas la souplesse politique de son père, et des incidents pourraient mettre le feu aux poudres. 

Les militaires patrouillent dans la capitale, mais évitent toute provocation inutile. Le Souk el Attarine – celui des parfumeurs, qui se trouve à proximité de la mosquée Zitouna – est le plus grand bazaar arabe de Tunis, et on y trouve absolument de tout ; depuis des parfums dignes des Mille et Une Nuits, jusqu’aux bijoux les plus étonnants, en passant par les meilleures dattes et le plus fin des haschischs… Les odeurs d’encens rares du Yémen et des Indes côtoient celles des essences précieuses et font tourner la tête des promeneurs. Le souk respire littéralement le luxe et la volupté. C’est au musée Ahmed Djamal que le lieutenant Gilles découvre “l’Artefact”. C’est une petite sculpture en laiton ou en bronze d’âge indéterminé, qui ne correspond à aucune créature connue… Mi-humaine, mi-animale, cela ressemble vaguement à un être hybride, sorte de sirène-pieuvre possédant les attributs des deux sexes. Le vendeur explique que l’objet avait été trouvé par un pêcheur d’éponge de Djerba, dans le ventre d’un poisson. Il n’a jamais rien vu de pareil  auparavant. Mais ce ne sont pas les trésors qui manquent dans les fonds sous-marins. Gilles paie quelques francs tunisiens après avoir âprement négocié, et met l’objet en poche. Cela fera un chouette cadeau pour son pote Louis, télégraphiste chez les Chasseurs-Alpins…

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Bruxelles, 2016              

Objet:Spectrométrie de l’artefact

De Willy Chilly
À conservateur@surnateum.org
Date Aujourd’hui 07:30

  

« Cher Conservateur,

Nous avons analysé votre artefact au moyen de la spectrométrie de  fluorescence aux rayons X. La composition chimique de votre « artefact » contient 78% de cuivre, 16% de zinc, et le reste est un mélange de nickel, de plomb et de fer. L’alliage se rapproche très fort d’une découverte  sous-marine récente près de la ville de Gela sur la côte méridionale de la Sicile.  La cargaison d’un navire ayant fait naufrage vers la fin du Vie siècle contenait une série de lingots de cette matière. Il s’agit donc plutôt de laiton que de bronze et certains membres de mon équipe y voient d’ailleurs un métal mythique surnommé « Orichalque ». Ce métal, considéré comme précieux dans l’Antiquité, était consacré au Dieu Poséidon. En espérant que ceci ait pu vous aider,

Votre Dévoué,

William”

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Surnatéum 2016

« …mais c’est l’île elle-même qui leur fournissait la plupart des choses à l’usage de la vie, en premier lieu tous les métaux, solides ou fusibles, qu’on extrait des mines, et en particulier une espèce dont nous ne possédons plus que le nom, mais qui était alors plus qu’un nom et qu’on extrayait de la terre en maints endroits de l’île, l’orichalque, le plus précieux, après l’or, des métaux alors connus… » (Critias – Platon)

Pour commencer, sachez que je n’ai AUCUNE idée arrêtée de ce qu’est l’artefact. Tout ce que je peux vous dire à ce propos, c’est qu’un professeur de physique de l’Université Libre de Bruxelles, un certain Auguste Piccard, l’a offerte au Collectionneur vers 1935. Lui-même l’ayant reçu de monsieur Louis Loubet, ex-télégraphiste militaire.

Ce qui suit est donc un début d’hypothèse, rien de plus…

La datation exacte n’a pas été établie avec certitude, quoique l’analyse du métal – en comparaison avec la trouvaille du naufrage –  pourrait la situer vers le VIe siècle de notre ère ou même avant. Son aspect ne renvoie qu’à peu de créatures mythiques connues, mais la rapproche du Triton. Fils de Poséidon et d’Amphitrite, il est le messager de la mer et le Héraut de son père. Mais il a également un rôle à jouer dans les tempêtes qu’il calme. Pour cela, il est assez proche de Saint Georges. Il est aussi le père de la naïade  Pallas qui fut accidentellement tuée par Athéna. En ce sens, il est lié à cette déesse. On peut donc supposer que l’artefact pouvait servir d’amulette qui protégeait les marins contre les tempêtes. Et puis, je ne peux que me rappeler les écrits de Platon dans le Timée et Critias qui attribuent à Poséidon l’Atlantide où se trouvait le fabuleux Orichalque. Après tout, c’est grâce aux mythes de Troie, du labyrinthe de Minos et d’autres, que de nombreuses cités légendaires furent exhumées par Heinrich Schliemann, Arthur Evans et consorts… Platon situait l’Atlantide entre l’actuelle Tunisie et la Sicile. Une coïncidence ? Mais nous n’envisageons actuellement aucune mission de recherche dans cette région. C’est beaucoup trop tôt.

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Bien entendu, nous n’avons que peu de considération pour les théories fumeuses et racistes de Helena Blavatsky, Rudolf Steiner ou Adolf Lanz concernant une race de surhumains provenant de Lémurie ou de l’Atlantide. Mais l’observation de l’artefact nous oblige de constater qu’une créature hybride possédant des seins (et un sexe masculin) doit nécessairement être un mammifère : donc posséder des poumons. Cet être, quel qu’il soit, doit donc être amphibie. Un peu comme les cultistes de l’Ordre Esotérique de Dagon imaginés par H.P.Lovecraft dans  « le Cauchemar d’Innsmouth* ».

Pour la petite histoire (et en référence au magazine Vampirella d’avril 1972), nous avons décidé de nommer notre Artefact: Cecaelia ou son diminutif Cilia.

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* The Shadow over Innsmouth.

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25/06/16