30/03/16
La baguette magique fut celle de Buatier de Kolta, les foulards de Tony Slydini, les perles d’ivoire furent manipulées par Dai Vernon, les jeux de cartes offerts par Ricky Jay et Michael Skinner, les gobelets sont les modèles originaux de Paul Fox, les petits accessoires furent fabriqués par Eddy Taytelbaum, etc. La forme actuelle que prend la boîte semble dater des années ’50 ou ’60.
Je me souviens de l’été 1975, il faisait particulièrement chaud et sec !
Depuis quelque temps déjà, je m’intéressais à l’illusionnisme, passion partagée avec un véritable amour du fantastique et de l’insolite. Et l’année me voyait quitter l’école pour entrer à l’université. Trois mois de vacances à pouvoir flâner où bon me semblait…
Un ami connaissant mon goût pour les choses étranges m’avait signalé ce petit magasin bizarre situé dans le haut de la rue d’Arenberg. Un peu au-delà des Galeries du Roi et de la Reine. La rue qui fait face à l’église Sainte Gudule.
” J’espère qu’il sera ouvert car il me semble abandonné depuis longtemps ; les quelques objets exposés ont l’air d’y être de toute éternité et je n’en ai même jamais franchi le seuil. ” Ajouta mon camarade.
Bien entendu, piqué par la curiosité, je m’y rendis avec un petit pécule longuement économisé sur mon maigre argent de poche.
Chez Lampernisse
Hantiquités, Curiosités, Objets de Collection
La vitrine exhibait d’anciens jeux de cartes espagnoles très colorées sous forme de planches complètes, des livres poussiéreux traitant de sujets aussi divers que l’astrologie ou la fabrication des parfums et des confitures, l’un ou l’autre masque africain rongé par les biloulous, une vieille gravure encadrée du parc royal et d’autres objets difficiles à identifier.
Il était impossible d’apercevoir l’intérieur de la boutique plongée dans les ténèbres
Ouvert à midi !
Il me restait trois quarts d’heure à patienter et je décidai de me promener sur la Grand Place de Bruxelles toute proche ; je sentais la nervosité me gagner. Et puis, ce mot Hantiquités me turlupinait, son orthographe était pour le moins discutable.
A midi pile, je me trouvais à nouveau face à la porte close.
J’avais déjà commencé à cuire au soleil, mitonné dans le jus de mon impatience.
A midi trente, un bruit de clé dans la serrure se fit entendre suivi d’une bouffée d’air frais ; et un vieil homme en tablier gris de libraire apparut. Il me sourit, et recula pour me laisser franchir le pas de la porte.
” Entrez, et laissez un peu de la joie que vous y amenez ! ” Me dit le bonhomme, paraphrasant Dracula. Il était accompagné d’un vieux chien aveugle qui semblait se déplacer sans difficulté dans le bric-à-brac incommensurable que renfermait l’échoppe. Cerbère visionnaire que ses propres ténèbres ne dérangeaient plus.
” Ne faites pas attention à Œdipe, il ne mord pas.
Qu’est-ce que le vieux Lampernisse peut faire pour vous aider mon garçon ?
Voulez-vous acquérir une véritable tête réduite Jivaro prise sur les épaules d’un explorateur imprudent, des fétiches amérindiens, un plan authentique des sept cités de Cibola tatoué sur la peau d’un jésuite espagnol ou cette pipe d’écume au visage méphistophélique ?
A moins que vous ne recherchiez l’exemplaire original du traité des Esprits de Dom Augustin Calmet ou le calendrier magique de Croze et Orazi ? ”
” J’aimerais juste jeter un coup d’œil, si cela ne vous dérange pas. ”
Il me pria de faire comme chez moi.
A peine éclairé par un plafonnier à trois ampoules (la quatrième était grillée), le magasin était tout en longueur et rempli de centaines d’articles hétéroclites qui dégageaient une odeur de vétusté et d’antiquité. Entre cire encaustique, poussière et vieux tabac froid de Hollande mêlée à une fragrance plus subtile d’encens égyptien…
On aurait pu se croire dans l’antre d’un Michel de Ghelderode, Jean Ray, James Ensor ou Félicien Rops. A moins que ce ne fût l’échoppe ténébreuse d’un bazaar arabe, ” the Old Curiosity Shop ” de Dickens ou le magasin de magie de H. G. Wells !
Par endroits, la moquette usée jusqu’à la corde laissait apercevoir une mosaïque de carrelages noirs et blancs ; à gauche du comptoir, une ancienne caisse enregistreuse tenait compagnie à des livres de loi datant de 1717. Sur un vieux cube de bois trônait une Bible illustrée par Gustave Doré, à côté d’une canne de compagnon qui avait vu passer deux guerres au moins.
Je ne savais où poser les yeux.
Un tel endroit existait, hors du temps et de l’espace ordinaires !
Une planche anatomique suédoise de chauve-souris y côtoyait allègrement une tasse à thé divinatoire de l’époque victorienne, un petit cadran solaire en argent décoré de signes astrologiques ainsi qu’un tableau représentant le petit chaperon rouge du peintre talentueux mais méconnu Vincent Devignez. Sur un très antique plateau divinatoire Yorouba trônaient une superbe poupée russe représentant une princesse et une copie bon marché d’un chat égyptien en plâtre de Paris. Des planches de cartes à jouer étrangères cachaient à moitié une psyché en marqueterie de Prague, un masque du capitan en cuir poli par l’usage et signé du nom de Sartori pointait son nez vers une vieille valise en cuir bleu, couverte d’étiquettes de pays et de lieux visités et d’une fine pellicule de poussière. Je soulevai délicatement le couvercle ; à l’intérieur reposait une boîte en carton brun sur le sommet de laquelle on pouvait lire :
MAGIE
Série spéciale
Je retirai l’objet de la valise. C’était une très belle boîte de magicien, d’aspect inhabituel.
Intrigué, je l’ouvris !
Le contenu n’avait aucun rapport avec celui des boîtes de ce type que l’on trouve au rayon jouets des grands magasins. Pas de coquetier magique, ni de vase inépuisable en plastique ; aucun clou à travers le doigt, pas de foulard changeant de couleur.
A la place, de merveilleux objets de bois finement décorés, deux petits sarcophages égyptiens, une mini cabine spirite, des dominos chinois, un superbe jeu de gobelets en cuivre, deux ou trois pièces de monnaie en argent, une baguette magique en ébène et ivoire avec des incrustations de nacre, un jeu de cartes Nifty Deck créé par Deland, quelques billes taillées dans la pointe de défenses d’éléphants ainsi qu’une vingtaine d’autres articles dont l’usage m’échappait complètement.
Un authentique parfum de mystère se dégageait de l’ensemble et, une inscription en japonais sur le couvercle semblait avertir l’utilisateur éventuel du danger qu’il y a à ouvrir des portes interdites…
” D’où vient cette superbe boîte ? ” demandais-je au propriétaire des lieux.
” Ah ça, jeune homme ! C’est le seul objet du magasin qui n’est pas à vendre. Du moins, pas à n’importe qui. Un amateur acharné de trucs de prestidigitation, qui avait entendu parler de cette boîte m’en a offert une véritable fortune, mais j’ai refusé de la lui céder.
Il y a deux théories sur son origine. La première veut qu’elle se transmette d’un amoureux de l’art magique au suivant depuis plusieurs générations. Chaque possesseur y a ajouté sa ” patte “, un de ses tours favoris, un peu de son âme. Chaque acquéreur du coffret magique en devient le gardien et doit l’enrichir avant de la transmettre au suivant. Peu importe qu’il ne la garde que quelques jours ou toute une vie, il a l’obligation de céder une partie de son savoir. Toute tentative de se dérober à cette règle entraînerait des catastrophes inimaginables pour l’irresponsable.
L’amateur ne désirait posséder ce trésor que pour le cacher dans sa collection, c’est un homme avide et grossier qui croit que l’argent peut tout acheter et se moque de la véritable valeur des choses. Et de toute façon, c’est la boîte elle-même qui décide où elle va aller.
L’autre légende raconte qu’elle serait d’origine française, assemblée par un mystérieux personnage appelé le Collectionneur. Personne ne connaît ni son nom, ni son aspect, ni son âge que l’on dit vénérable. Il est le Gardien du Surnatéum, une sorte de Muséum d’Histoire Surnaturelle. Grand Collecteur de fantasmagories, chimères et coquecigrues, illusionniste autant que magicien, il aurait parcouru le monde en essayant de réunir les reliques les plus rares et les plus précieuses que les maîtres de l’art des Prestiges avaient produites, pour composer cette boîte unique. Il lia une sorte de Pacte avec la baguette magique, un serment qu’il fit à l’âme du plus grand des illusionnistes français. Propriété de Robert Houdin, elle fut offerte à son disciple Hamilton, puis passa un temps entre les mains de Buatier de Kolta pour que la transmission du savoir, qu’elle représente, ne se perde pas dans un monde de paillettes et d’artifices. Elle finit par aboutir au Surnatéum, le Sanctuaire des Antiquités hantées. Répondant au souhait de Robert Houdin, le Collectionneur aurait convaincu des personnages aussi fameux que Dai Vernon, Tony Slydini, Michael Skinner, Shigeo Takagi, Eddy Taytelbaum, Fred Kaps, Charlie Miller et Tayade, de véritables légendes dans le monde très fermé des prestidigitateurs, d’offrir une partie de leur immense savoir et un petit souvenir personnel au contenu de cette boîte magique. Pour l’enrichir et en faire un véritable instrument d’initiation. Et, quoique la vérité trouve son chemin entre les deux théories, je pencherais plutôt pour cette version.
Contrairement au cirque, au théâtre ou aux arts ” classiques “, la prestidigitation n’est enseignée dans aucune école. En partie à cause du secret qui entoure son apprentissage. Elle se transmet de maître à disciple, encore faut-il des maîtres valables et des disciples attentifs et consciencieux ! La boîte, à la frontière entre diverses formes de magies, est un maître impitoyable et très efficace.
Quoi qu’il en soit, ceux qui, un jour l’ont eue en main, ceux qui ont été choisis, sont définitivement envoûtés et ont activement participé à l’évolution de leur art. Les autres…”
L’explication était trop fantastique pour être fausse, aussi, doutant mais curieux je lui demandai de passer le test. Le vieil homme eut un sourire, et retira d’un compartiment une petite boîte verte ainsi que quelques anneaux de couleur et une minuscule baguette magique. Il me raconta que cette petite ” cabine hantée ” avait été fabriquée à partir du bois de l’armoire des frères Davenport. De célèbres spirites qui, au tournant des dix neuvième et vingtième siècles, avaient voyagé dans le monde entier en démontrant les activités des esprits frappeurs qui se manifestaient dans leur cabinet. En France, pays trop cartésien, le public avait détruit leur cabine en criant à la supercherie et les avait chassés du pays. Plus tard, le Collectionneur ayant retrouvé un panneau de leur armoire, avait demandé à un célèbre créateur de jouets enchantés du nom de Eddy Taytelbaum de tailler cette petite cabine dans son bois. Ce magicien d’origine hollandaise était né à Paramaribo au Surinam vers 1925, et avait côtoyé dans sa jeunesse, toutes sortes d’étranges personnages, sorciers et chamans. Son influence sur le matériel contenu dans la boîte de magie est primordiale. Véritable Gepetto contemporain, il avait composé l’essentiel des petits chefs d’œuvre que contient la ” Boîte de Magies. ”
L’antiquaire me demanda de choisir une couleur d’anneau et de la placer dans le fond du petit cabinet spirite. Il y ajouta deux ou trois anneaux de couleurs différentes, ferma les portes, et secoua le tout pour mélanger les anneaux. Il introduisit ensuite la baguette magique dans un orifice placé sur le haut de la boîte ; rien ne pouvait s’y accrocher, elle surplombait les anneaux d’au moins cinq centimètres. Il alla quérir une petite clochette de laiton, et l’agita délicatement. Le tintement aigre devait réveiller l’esprit de la boîte. Quand il ouvrit la cabine, mon anneau y était suspendu, ayant pénétré par quelque maléfice le bois de la baguette. C’était impossible !
” La boîte vous aime bien, dirait-on ! ”
À ce moment, je fus conquis et m’enquérai anxieusement de son prix. Cela risquait d’être prohibitif !
Le vendeur me demanda tout l’argent que j’avais sur moi, quelle que fut la somme.
Je n’avais que mille et un francs ! Une somme ridicule pour une boîte qui valait mille fois ce prix. Mais je ne pouvais donner plus. Ce prix avait quelque chose d’initiatique, remettant mes compteurs à zéro.
Je le payais.
Le vieil homme plaça cette somme dans une enveloppe de papier brun, la scella et me tendit la boîte.
” Elle est tienne, jeune homme, et ce n’est pas une mince responsabilité que tu as acceptée là ! Elle t’apportera tous les bonheurs du monde et toutes les souffrances liées à celui qui pratique un art. Mais ton existence, à partir de ce moment, devient unique pour toi et les tiens. Quand tu n’en auras plus l’usage, transmets-là à ton tour, après l’avoir enrichie.
Ah oui ! La boîte ne contient aucune instruction, tu devras chercher et apprendre par toi-même ; aller à la rencontre de ceux qui ont été liés à elle. ”
Il m’offrit également un livre de prestidigitation en anglais intitulé ” Our Magic ” de David Devant et John Nevil Maskelyne et un livre de tricheries aux cartes, en ajoutant que tout ce que je devais commencer à apprendre, se trouvait entre ces pages. C’était les éditions originales de ces deux ouvrages.
Je le remerciais et quittais l’échoppe dans un état euphorique.
Je me rappelle qu’il me fallut deux heures pour traverser la ville à pied sous un soleil brûlant, car je n’avais plus de quoi payer un tram ou un bus, mais ce temps me parut passer très vite.
Quelques semaines plus tard quand je voulus revenir au magasin pour en savoir plus sur mon achat, l’échoppe avait disparu.
Fermée pour toujours !
Je ne sais ce qu’est devenu le vieil homme avec son chien aveugle, mais il n’a pas menti; la boîte contient une multitude d’autres magies…
Le mode d’emploi de la Boite de Magies se trouve publié dans Compendium Sortilégionis.
Mais la boite contient une série d’autres petits objets précieux rarement vus.
Les perles de Claude Rix, un des meilleurs magiciens de close-up en France, m’a offert un de ses deux jeux personnels des perles d’ivoire, lors d’un passage à Reims.
D’autres perles en ivoire, des billes de roulette, furent manipulées par Dai Vernon lors d’une session au Magic Castle
La Boite contient aussi divers objets créés par Eddy Taytelbaum
Des sets de pièces Johnson d’excellente qualité
Des foulards originaux cousus par Slydini pour une de ses routines, avec une photo du livre dans laquelle cette routine est publiée.
Deux séries de Cigares Factices pour la routine Cigars from the Purse de Dai Vernon.
Des jeux de carte offerts par Ricky Jay (au Magic Castle, soirée mémorable)et Michael Skinner (après une jam au Golden Nugget), des cartes de visites de magiciens avec qui je me suis lié d’amitié, un billet de Fred Kaps et un autre d’1$ perdu par Tommy Wonder au cours d’un pari au congrès IBM de Nashville, et même un chèque du Magic Castle…
Et une boite à pièce, mon premier tour de magie acheté dans un magasin bruxellois.
Deux séries de dés à coudre de manipulation, le set jaune appartenait à Yogano.
Le prototype du Jeu B’Wave de Phil Goldstein/Max Maven, offert lors de ma première prestation au Magic Castle
et un Himber Ring en or massif, créé pour moi par Georges Geyduschek.
Quelques raquettes (Eddy Taytelbaum et d’autres)
Autres petits objets de Taytelbaum: Bomba Atomica, Cyclotron Chinois, pièces chinoises, bouton enfilé, Divination du Dé, tunnel au dé…
Quelques autres pièces: Nest of Coins, Ringing Bell, Scotch and Soda avec Bang Ring, Folding Coin, Bet Coin de Dai Vernon
Et un Jeu de Charlie Miller’s Dice, qui donnera ma version: 7 Girls
Toujours de Max Maven/ Phil Goldstein, “Pierre-Papier-Ciseaux” , une routine de paris en lançant des jetons.
Et une “Grande Illusion de Poche”, la Tête aux Epées d’Alan Alan
Notes:
The Magic Box.
La Boite de Magies contient les objets suivants, offerts par les plus grands magiciens de close-up du XXe siècle.
– Jean Merlin : Mad Magic n° 45 (et toute la collection aussi)
– Dai Vernon : silhouette, spinner, perles d’ivoire, dédicace dans Révélations (1986)
– Ricky Jay : jeu de cartes (1986)
– Fred Kaps : Banknote publicitaire
– Slydini : foulards
– Chung Ling Soo : Spirit Slate Writing and Kindred Phenomena
– Yogano père: Divers matériel et Dés à coudre. Briseur de verre.
– Tomy Wonder : billet signé d’un pari perdu (IBM 1987)
– Eddy Taytelbaum : Collection de ses créations (dominos, chinka-chinka, momies, …), les autres boîtes.
– Shigeo Takagi : Notes dédicacées (IBM 1987)
– Larry Jennings : carte de visite (1986)
– Max Maven : Pierre-papier-ciseaux, photo dédicacée, B’Wave (première version) (1986)
– T.A.Waters : prédiction male-femelle (1986)
– Claude Rix : jeu des perles d’ivoire (2015)
– Gaétan Bloom : pochette d’allumette(1985)
– Michael Skinner : jeu de carte Golden Nugget (Las Vegas 1987- Golden Nugget)
– Paul Fox : Cups
– Charlie Miller : Charlie Miller’s Dice, article dans Genii (1986)
– John Kennedy : Cigarette thru anything
– Jerry Andrus : Linking Pins
– Lennart Green: 3 shell game gold plated (school of scoundrels)
– Allen Okawa: Coquillages (IBM 1987)
– Tayade: Linking Rings
– Herb Zarrow: leçon sur son mélange.
La Boite de Magies contient également pas mal de courrier échangé à l’époque avec ces magiciens.
– Lettre d’Eddy Taytelbaum
– Lettre de Mark Edward
– Lettre d’Eric Antoine
– Première photo avec Dai Vernon (Liège 1980)
– Chèque du Magic Castle
– Lettre de Tony Andruzzi (1989) et New Invocation n° 75)
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