04/06/25

Dans le livre Mille ans d’Histoire des Tsiganes (Fayard 1970), l’auteur – François de Vaux de Forestier – décrit une série d’arnaques qu’il associe aux gitans.
Hokkani boro, également appelé hakk’ni panki, est un terme de la langue romani pour « le grand truc » ou l’arnaque d’un escroc. Le Hokkani boro est souvent pratiqué pour gagner la confiance d’un client, puis son argent. Le terme est également connu sous le nom de « hokkeny bāro ». Il fait référence à l’une des nombreuses méthodes utilisées pour escroquer quelqu’un de son argent, et peut être à l’origine de « hanky-panky » dans la langue anglaise pour signifier des transactions louches, des ruses etc.
L’agression de Blanche
Bruxelles 1895
Comme chaque dimanche, lorsqu’elle quittait l’église des Minimes, près du palais de justice de Bruxelles, la petite Blanche éprouvait de l’inquiétude.
Elle n’avait pas loin à aller, car elle vivait chez sa marraine, quelques rues plus loin. L’église paroissiale des Marolles avait depuis sa construction fidélisé son public et le cœur de la jeune fille y était attaché.
Mais elle se méfiait comme de la peste de la « Cour des Miracles » qui infestait le parvis à la sortie de la messe. Les dames patronnesses distribuaient, en toute bonne conscience, l’aumône à leurs pauvres. Elles espéraient ainsi gagner le Paradis grâce à leur charité chrétienne qui serait récompensée en temps voulu.
Elles avaient donc attiré un milieu interlope et peu recommandable autour de la sortie de la messe.
Et Blanche connaissait ces beideleirs (mendiants) , du gibier de potence, fourbes, schiefgesloege, voleurs, trafiquants d’enfants, tire-laines, faux estropiés appelés Piètres , et les Malingreux ayant toujours une plaie purulente à montrer pour attendrir les pigeons. Ils n’hésitaient pas à mutiler des gosses, l’arnaque à la pitié rapporte toujours plus. Ils écumaient le quartier dans une sorte de zone de non-droit. La police ne les chassait pas car ils jouaient les indics et le commissaire Alexandre Courtois, parfois surnommé Ravachol, une brute d’une honnêteté plus que douteuse, était leur protecteur.
Qui plus est, pour moquer les autorités, ils habitaient tous à proximité de l’ancien quartier du Bovendael, détruit quelques années plus tôt par le « Skieven Architek », sobriquet donné à Joseph Poelaert, l’architecte de la Ville de Bruxelles. Le palais de justice avait été construit sur le Galgenberg, le Mont aux Potences et surplombait désormais les Marolles.
Le regard de l’Etat se posait sans aménité sur le petit peuple.
La gamine descendit les pavés glissants de la rue des Capucins d’un pas peu assuré, lorsqu’elle fut violemment happée dans l’encoignure d’une entrée d’impasse. Pour une fois qu’elle n’était pas accompagnée par un parent ou un ami, elle devenait une proie facile.
Tabassée, elle fut projetée au sol de l’impasse des Escargots et rouée de coups. Elle reconnut certains truands du gang de l’église, dont chevalier Mic-Mac, une crapule sans nom.
Son petit réticule fut arraché et un des malfrats commença à lui déchirer brutalement ses vêtements, puis commença à l’étrangler, lorsqu’un coup de sifflet retentit.
Les fripouilles s’égaillèrent instantanément, laissant la gamine pour morte.
Blanche fut conduite à l’hôpital voisin, en piteux état et couverte d’ecchymoses, mais elle ne porta pas plainte et ne dénonça personne aux “ajoêns” (les flics). Cela n’aurait servi à rien, mieux valait se taire et subir, plutôt que se faire égorger par vengeance.
Elle n’était qu’une petite marollienne, une “Minime”, créature inexistante aux yeux des bourgeois et des élus locaux, pour laquelle personne ne perdrait une minute de son précieux temps.
Le médecin la laissa quitter la consultation, son cas ne l’intéressait déjà plus.
Encore sous le choc, elle tituba de l’hôpital Saint-Pierre jusqu’à la rue des Renards où logeait Madeleine, sa marraine. Cette dernière, de lointaine origine gitane, vivait du tirage des cartes pour ses voisins. Effarée de voir sa filleule dans cet état, elle la réconforta et la soigna du mieux qu’elle put. Elle connaissait des baumes traditionnels et des herbes qui guérissent. Mais plus que tout, elle élabora une vengeance: il fallait faire payer les agresseurs. Et cher !
La vengeance de Madeleine
Le dimanche suivant, Madeleine revêtit ses plus beaux atours et se rendit à la messe. On aurait dit une bourgeoise aisée. A la sortie de l’église, elle sortit son aumônière et laissa voir à tout le monde, quatre belles pièces de 5 francs en argent portant l’effigie du roi Léopold II. Une seule d’entre elles valait le salaire quotidien d’un ouvrier très spécialisé.
Elle avait soigneusement poli les pièces pour qu’elles brillent de mille feux au soleil.
Quatre pièces pour cinq mendiants. De quoi faire un premier jaloux…
Elle donna ostensiblement les 20 francs au “roi des thunes“, le chef de bande qui, flagorneur, obséquieux et courbé en deux, lui lécha littéralement les mains. Un “frotbal“, quoi! Personne n’aurait pu louper la somme rondelette qui venait d’être donnée. Même pas le faux aveugle de la bande. C’était autre chose que le grabbelink habituel qu’ils récoltaient.
Elle referma sa petite bourse qui contenait encore une autre pièce, ou plutôt une sorte de talisman appelé la « pistole du Diable ». Puis, elle s’éloigna et murmura une incantation.
“Ekkeri, akai-ri, u kair-an. Fillissin, follasy. Nakelas ja’n”
Aussitôt, une des pièces offertes revint dans son aumônière.
Elle n’avait plus qu’à attendre un peu.
La bande se réunit dans leur stamcafé, l’estaminet où sévissait l’arnaqueur Pitje Snot, et lorsque les mendiants commencèrent à partager le butin de l’église, tous remarquèrent qu’il manquait une pièce. La tension monta et ils accusèrent le chef de bande de les tromper.
Madeleine frotta une seconde fois le petit talisman et une autre pièce rejoignit la première.
Devant la disparition d’une autre partie de leur trésor, les malfrats en vinrent aux coups, et certains, déjà échauffés par quelques bières, sortirent leur surin. Un capon les dévalisait!
Madeleine, un sourire aux lèvres, frotta une dernière fois la « pistole » et les deux dernières pièces retournèrent chez leur propriétaire. Plus question de payer les tournées du bistrot.
Ce fut un bain de sang, la bande fut décimée.
Quant aux bandits, ils ne revinrent plus mendier le dimanche.
Mais d’autres les remplacèrent. Le mal ne dort jamais.
04/06/25