07/01/15
La Blague de Vanderdeken
Description :
Boîte de thé en fer blanc contenant une blague à tabac à moitié vide, une pipe squelettique en écume de mer, quelques thalers anciens, une pièce de huit réales, deux pions de jeu d’échecs, une bible de poche d’un soldat anglais de la guerre des Boers.
Légende
Le capitaine Vanderdeken refusa une fois de plus de laisser son équipage épuisé descendre à terre. Le manque de vent faisait traîner le vaisseau sur l’océan, à la vitesse d’un escargot asthmatique.
Parti de Londres depuis plusieurs mois, les marins du “Hollandais Volant” ne s’attendaient plus à atteindre l’Australie avant la fin de l’année 1666. A l’époque, le Canal de Suez n’avait pas encore été percé, et le voyage vers les Terres Australes ressemblait à l’éternité.
Le Cap de Bonne Espérance aurait pourtant dû être franchi avant la période des tempêtes.
Ils avaient longé les côtes de l’Europe, passé le détroit de Gibraltar, et continué le long du continent africain à une allure insupportablement lente. La nourriture avariée et l’eau croupie empoisonnaient l’équipage puis le scorbut avait fait son apparition à bord. Et malgré les supplications des marins, le capitaine, un protestant borné, dur et intransigeant, refusait de faire relâche dans un port. Il fallait coûte que coûte rattraper le temps perdu. Le profit à n’importe quel prix était sa raison d’être.
Arrivés à hauteur de la ville du Cap, Vanderdeken finalement à bout de nerfs, céda à une crise de rage. Il maudit le ciel et l’enfer; et dans un accès de démence défia Dieu et le diable pour un peu de vent.
Aussitôt, un léger souffle de vent venu de nulle part répondit à son imprécation, puis une brise se leva; et le ” Hollandais Volant ” se mis à glisser sur les flots en prenant de la vitesse. On approchait du Cap de Bonne Espérance. Là où les océans atlantique et indien mêlent leurs eaux.
Le vent forcit, et bientôt la tempête éclata.
Le plus terrible des ouragans que la pointe de l’Afrique ait connu de mémoire humaine. Le ciel était noir d’encre, et l’enfer se déchaîna. Des vagues monstrueuses déferlaient sur le pont du bateau emportant marins et marchandises. Les hommes hurlaient, ils allaient démâter.
C’est alors qu’un spectre gigantesque apparu, qui somma Vanderdeken de se repentir. Le capitaine pointa son pistolet sur l’apparition et fit feu. L’arme lui explosa entre les mains.
Depuis lors le ” Hollandais Volant ” erre de mers en océans, et particulièrement aux alentours du Cap de Bonne Espérance. A son bord, seul et attaché au gouvernail, le maudit dirige son vaisseau fantôme, une pipe spectrale vissée entre ses lèvres desséchées. La fumée de son tabac s’épaissit, forme une nappe impénétrable et finit par envelopper le bateau d’un brouillard épais dans lequel il disparaît… ou réapparaît. Rares sont ceux qui ont survécu à une rencontre avec lui.
Des légendes chuchotées dans les bars de Capetown par des marins superstitieux racontent qu’on y croise parfois le vieux marin, quand le temps est à l’orage et le pays en conflit. Le Maudit vient s’approvisionner en rhum, genièvre, pipes et tabac fort d’Afrique et, obsédé par une errance solitaire, tente de compléter son équipage. Il paye toujours ses achats d’une ancienne pièce de huit en argent provenant, dit-on, du trésor d’un galion coulé.
S’il vous propose une partie d’échecs, prenez garde, c’est un redoutable joueur. Gagnez, et vous deviendrez riche et célèbre. Il est dit que seul un certain Richard Wagner l’aurait battu dans la première moitié du XIXé siècle.
Si vous perdez, vous l’accompagnerez dans son errance jusqu’à la fin des temps…
Le capitaine joue toujours avec les noirs.
La blague à tabac et la pipe en sépiolite que vous voyez ici furent trouvés à Capetown en 1900. Après qu’un soldat anglais en permission dans les bouges de la ville eut perdu une partie contre le maudit, et disparut le soir même. Le sachet contient outre du tabac, deux pions d’échecs en ivoire d’âge vénérable, l’un blanc et l’autre teinté, la pipe en écume de mer et une pièce de huit provenant d’un galion coulé.
Je ne vous propose pas une partie d’échecs, mais si, sans regarder à l’intérieur de la bourse vous en retirez le pion blanc, vous gagnerez la pièce, la blague à tabac, et tous les objets du conte. Et vous deviendrez le nouveau Conteur, car c’est de cette manière que se transmet l’histoire. En plus, j’offre une tournée de bonne ale brune.
Par contre si vous perdez, vous payez les consommations et resterez à attendre que Vanderdeken vienne vous chercher.
Mon adversaire retira le pion noir…
Dossier.
Au début des années 1990, j’eus l’occasion d’acheter quelques pièces de monnaie anciennes chez mon numismate préféré, près de la Bourse à Bruxelles. Rien que l’idée d’acheter des pièces près de la Bourse m’amuse. Bon.
Ce jour-là, le marchand venait d’acquérir quelques fragments de potteries (bellarmines)divers Thalers et une pièce de Huit Réales provenant de naufrages. Je lui achetais donc 4 Thalers et une pièce de 8 reales. Cette dernière provenait du naufrage d’un navire de la VOC (la Compagnie des Indes Orientales Néerlandaises), le Vergulde Draeck – le Dragon Doré. (Les fragments de poterie provenait du même bateau) Ce bateau voyageant en direction de Batavia aux Indes néerlandaises – actuellement Jakarta -avait coulé en 1656 près de la future ville de Perth en Australie, et transportait à son bord diverses marchandises et des caisses d’argent.
J’ai joué un temps avec les pièces, imaginant des histoires de pirates, de galions maudits, de trésors cachés, puis je remisai le tout. Mais la pièce de huit m’intriguait et, en me laissant aller à une rêverie légère, je finis par écrire l’histoire ci-dessus. Puis je laissai de côté le conte et passai à autre chose.
Avec l’évolution d’internet au début du XXIe siècle, je retombai sur l’histoire du naufrage du Vergulde Draeck. Sur les 193 personnes à bord, 75 réussirent à atteindre les côtes de l’Australie. Sept hommes dans une chaloupe reprirent la mer pour aller chercher du secours à Batavia. Ils atteignirent la ville après 40 jours d’épuisants efforts. Les responsables de la VOC envoyèrent 2 vaisseaux en retour, mais ils ne purent retrouver les survivants. Pire, 11 hommes et un bateau furent perdus pendant la mission et les marins furent à nouveau abandonnés sur la plage, après une épouvantablement tempête. Ils firent une fois de plus le voyage de retour en chaloupe.
En 1696, soit 40 ans après le naufrage, un capitaine de la VOC, Willem de Vlamingh (1640-1698), proposa d’envoyer une mission d’exploration pour retrouver les traces du Vergulde Draeck et du Ridderschap van Holland (disparu en 1694), et de dresser de nouvelles cartes des côtes de l’Australie. En effet, le nombre de naufrages des vaisseaux de la VOC laissait supposer de graves lacunes dans les cartes maritimes de la région.
Contrairement aux missions précédentes, le capitaine proposa comme base de départ, la ville du Cap plutôt que Batavia. Trois navires participaient aux recherches.
On considère généralement que le mot Vergulde (Doré) – prononcé en flamand – ressemble assez fort au mot Vliegende (Volant). De là passer de Vlamingh et Vergulde à vliegende Vlamingh, il n’y a qu’un pas. Et le Vergulde Draeck ainsi que le capitaine de Vlamingh vont passer à la postérité sous le nom de Vliegende Vlamingh, Flying Dutchman ou Hollandais Volant.
Il y a donc de fortes chances que le Vergulde Draeck soit donc le navire à l’origine de la Légende.
Ce qui est étonnant, c’est que j’ai imaginé une version du conte en manipulant cette pièce et sans connaître les liens entre les deux histoires, la magie viendrait donc de là…
07/01/15