14/06/20
En 1970, monsieur X fait des travaux d’agrandissement d’une maison dans les environs de York (Angleterre). En creusant, il trouve les reliques d’une tombe viking du Xe ou XIe siècle. Il semble s’agir des restes d’une tombe-chambre (chamber-grave) d’environ 5m/3m/1.5m, partiellement effondrée. La découverte le surprend car les tombes vikings de ce genre sont extrêmement rares en Angleterre et celle-ci semble être la seule aux alentours. A cette époque, l’intérêt pour ce sujet est minime* et personne n’effectue des fouilles à York (anciennement Jörvik). Toutefois, il montre sa trouvaille à un ami. Il ne reste pas grand chose du corps qui y repose, mais quelques objets attirent leur attention:
L’inventaire de la tombe compte: un fer de lance viking qui semble avoir été posée sur les restes du corps, une marmite en cuivre (état très moyen), deux couteaux dont un à manche d’ivoire et à la pointe abîmée, une fusaïole, une très belle petite coupe en cuivre, des fragments d’un peigne, un briquet, deux anneaux de petite taille, une petite clé et un élément de serrure, quatre aiguilles en os et en bois de cerf (ou de renne), d’autres aiguilles en bronze et en plomb, une broche “tortue”, une seconde broche plus simple et plus petite, un petit canard en plomb, un miroir en bronze clair, des fragments de trois amulettes correctement conservées pour leur âge, un curieux dé, 6 morceaux d’os polis, une petite figurine “humaine” (avec une face homme et l’autre face femme), des amulettes composées d’oursins fossiles, une très ancienne hache de silex, des morceaux d’ambre de la Baltique, des fragments de métal indéfinis, un morceau de corne, des pièces d’argent oxydées et quelques perles de verre et d’autres d’un ambre très pur…
Un des « charmes » (anneau d’amulettes) est composé de divers éléments: une “tête de dragon”, une amulette de Freya, une patte d’oie (animal de Frigg), une amulette de Freyr (le frère de Freya), une hache (hache de Perun/marteau de Thor), une “baguette”, une pierre de touche. On suppose que ces anneaux d’amulettes étaient des offrandes au défunt.
Une autre amulette comporte une petite cuillère, une hache de Perun, une clé, des clochettes, une lynx (ou animal y ressemblant).
Monsieur X offre les objets à son ami. Ce dernier fait de la recherche par détecteur et connaît un peu les antiquités. Le fer de lance est typiquement viking et date du IXe ou Xe siècle CE.
Le nouveau propriétaire du contenu de la tombe nettoie les objets, étiquette la trouvaille et la range dans sa collection en indiquant sur la boîte : Vkg Brl – Yrk-X. Et finit par les y oublier…
Une petite cinquantaine d’années plus tard, ses héritiers décident de vendre son immense collection de trouvailles à un antiquaire local.
Le vendeur qui nous connaît prend contact.
Nous négocions le contenu complet de la boite et les reliques arrivent au Surnatéum. Comme d’habitude, nous allons devoir jouer à Sherlock Holmes (ou plutôt Guillaume de Baskerville).
Ne lisant pas le norrois et ayant parfois des difficultés avec les notices de montage IKEA, nous nous entourons de gens plus compétents que nous.
Nous confirmons qu’il s’agit bien d’objets vikings, probablement du Xe siècle.
Les aiguilles en os et en métal, les fusaïoles, les poids de métier à tisser et autres objets indiquent que l’occupante de la tombe était une femme. La taille de deux bagues et les objets sur les amulettes vont dans le même sens.
La broche (en forme de carapace de tortue) est un modèle uniquement utilisé pour les vêtements féminins, elle porte des traces de violence. (Une broche similaire se trouve au British Museum sous le n° de référence 01613287766. ) La présence de perles de verre et d’ambre et quelques porcelaines (appelées cauris) indique toujours la même chose. Le couteau et la cuillère vont également dans cette direction.
Une bouillie de lait de chèvre a été préparée pour elle et, comme viande, elle a reçu le cœur de tous les animaux disponibles. Elle avait une cuillère en laiton et un couteau avec un manche en ivoire, ses deux moitiés fermées avec des bandes de bronze, et dont la pointe s’était rompue. (Saga d’Erik le Rouge – (Thorbjörg Litilvölva)
La description correspond furieusement au couteau.
La cuillère dans la tombe a été “tuée rituellement”, signe d’un objet de pouvoir dont les vivants veulent éviter l’influence. Il en va de même pour une aiguille de bronze pliée rituellement. Nous reviendrons là-dessus dans un autre log.
Les diverses amulettes et les pierres « magiques » (oursins fossiles – pierres de foudre, ambre de la Baltique, quartz troué, fusaïole) ont normalement une fonction magique.
La fusaïole se fixait au fuseau. Ce dernier s’utilisait parfois avec une quenouille, la baguette magique des völvas. Les objets en bois n’ont pas été conservés dans la tombe, contrairement aux métaux et bois de cerf (qui est quasiment indestructible). Une des amulettes portant la rune Ingwaz, celle du dieu Freyr, est en cette matière.
Nous avons de plus en plus l’impression qu’il s’agit d’une femme d’une certaine importance, probablement une völva ou une blótgyðiur/blótgyðja (prêtresse s’occupant des sacrifices). Rôle souvent dévolu à la maîtresse de maison.
Les charmes semblent être des amulettes de völva et les restes d’un collier d’ambre évoquent la déesse Frigg, l’épouse d’Odin ou Freya. Nous comparons les styles des amulettes et arrivons à la conclusion qu’elles proviennent bien de Scandinavie et plus précisément de Suède*. Parmi les amulettes : pattes d’oie (ou d’anatidé), animal dédié à Frigg, marteau de Thor, amulette de Freyr et de Freya…
Nous trouvons confirmation de notre intuition avec un bout de métal polyédrique finalement identifié comme un fragment de baguette « magique » de völva. Les illustrations dans le livre de Neil Price – The Viking Way – permettent même de déduire que ce modèle de « Spàganda » se retrouve dans la région de Birka/Sigtuna/Uppsala en Suède.
C’est de là que serait originaire notre magicienne, même si d’autres éléments rappellent des amulettes danoises.
Les völvas/völurs sont les femmes chamans/devineresses liées à Freya (la sœur du Dieu Freyr), déesse du sexe et de la guerre, protectrice des enfants à naître, prophétesse, qui accueille dans son Hall céleste (Sessrúmnir, également le nom d’un bateau) une partie des guerriers morts au combat. Femmes extrêmement puissantes, elles étaient craintes et vénérées et accompagnaient les guerriers au combat. Elles pratiquaient diverses formes de magie comme le seidr (magie liée au tissage), le spà (divination), le galdr (incantations). Elles avaient la réputation de pouvoir changer d’aspect comme Odin et d’autres dieux (gandr), de lier l’ennemi et de favoriser leurs guerriers, elles pouvaient également contrôler les vents et les tempêtes, lancer des maléfices comme remplir ou vider un fjord de ses poissons, lancer des projectiles invisibles sur leurs ennemis.
Barði Guðmundsson suggests that families like these, in which women held a high position and were responsible for cult practices, were of Swedish extraction and had originally been worshippers of Freyr (1967, 54–58). (The structure of vatndoela saga – by Bernardine Mccreesh – revue Saga BOOK vol XXXIV)
Parmi les völvas célèbres, on trouve celle sans nom qui prophétise le Ragnarok pour Odin, Gullveig l’immortelle, Thorbjork Liltilvolva (Saga d’Erik le Rouge), Hyndla (le dit de Hyndle), Gunnhild Kongemor (la faiseuse de rois, femme d’Erik à la Hache Sanglante), la völva enterrée sur le drakkar d’Oseberg, celle de Fyrkat, celle de Peel Castle (sur l’Île de Man), Veleda (citée par Tacite), Albrunia (celle qui connait le secret des Elfes), Ganna de la tribu des Semnones, Waluborg (völva germanique en Egypte), Heidr (Gullveig?)…
Sans oublier Odin lui-même qui pratique le seidr.
Donc pour l’instant, nous avons plus de questions que de réponses. Et nous avons attribué le nom de Gullveig, mère de toutes les sorcières, à notre inconnue.
Elle se souvient de la bataille
Première dans le monde
Gullveig
Ils l’immobilisèrent avec des lances
Et dans la halle de Hár (Odin)
La brûlèrent.
trois fois ils la brûlèrent
trois fois née,
souvent, non rarement;
Mais elle vit encore
Heiðr on l’appelait
quand elle venait vers les maisons
völva, bonne prophétesse
instruite en sorcellerie
Le seið elle le connaissait,
Elle envoûtait l’esprit joué
Elle était une odeur douce
Pour les mauvaises femmes.
Völuspá (str. 21 et 22).
Les völvas sont aussi à l’origine des sorcières de nos traditions. On trouve des liens évidents avec les descriptions plus tardives de sorcières comme Mother Shipton ou même ma Mère l’Oye.
le fragment de baguette (Spàganda)
broche “tortue”, couteau à manche d’ivoire (de morse?), petit bol/coupe en bronze (Othrörir?), amulette n°1
La rune Ingwaz sur l’amulette fait référence au Dieu Freyr et le talisman sert à la fertilité et à la prospérité. (Barði )
Cuillère tuée rituellement, peigne en os, amulette n°2, porcelaines (cauris), Hache de foudre (thunderstone)
Un des « charmes » est composé de divers éléments: une “tête de dragon”, une amulette de Freya, une patte d’oie (animal de Frigg), une amulette de Freyr (le frère de Freya) une hache (hache de Perun/marteau de Thor), une pierre de touche.
Objets “magiques” divers (chargées de Väki, l’énergie spirituelle, pouvant servir aux soins)
un jeu de 6 os polis et noircis (jeu ou divination) Probablement des os de porc ou de sanglier, animal consacré à Freya (Hildisvini). Dans ce cas, l’utilisation à des fins divinatoires nous semble fort probable.
Note: Il est possible de donner une interprétation “mythologique” à la plupart des objets contenus dans la tombe, en dehors de leur fonction “quotidienne”.
Il est aussi possible que la tombe ait contenu deux occupantes: une mère et sa fille. En effet, certains détails laissent penser à la présence d’une enfant de sexe féminin, décédée de mort violente en même temps que l’adulte. Mais ça reste à explorer…
Les Objets “Magiques” dans la tombe de Gullveig:
Pour plus de détails, voir: SARA ANN KNUTSON – The Materiality of Myth: Divine Objects in Norse Mythology dans TEMENOS vol.5 n°1
– Gungnir , la Lance d’Odin : Lorsque les vikings affrontaient l’ennemi, une lance était projetée au-dessus du premier rang de l’adversaire pour appeler Odin à assister au combat. A la fin de l’affrontement, les prisonniers survivants étaient pendus à un arbre et transpercés par cette Lance pour être offerts au Dieu. Cette Lance devenait donc Gungnir. Elle pouvait également être lancée dans une tombe au-dessus du défunt, pour le consacrer à Odin. Un exemple se trouve dans une des tombes de Birka (Chambre funéraire double BJ 834).
Dans la Voluspà, c’est de cette manière qu’Odin déclare la guerre aux Vanes.
– Brisingamen, le Collier de Freya : le Collier des Brisingar, attribut de la déesse Freya, donne à cette dernière le pouvoir de séduire qui elle veut, homme ou dieu. Offert par le roi nain Alberich, il a aussi le pouvoir de donner l’avantage à n’importe quelle armée soutenue par Freya. Dans le Chant de Thrym (Þrymskviða), Thor et Loki brisent accidentellement le collier d’ambre et les perles roulent au sol. Certaines se perdront et arriveront dans les mains de völvas. Mais seules les perles en ambre pur – les larmes de Freya – possèdent les pouvoirs du collier original. Il faudra le talent magique d’un véritable artiste pour recréer le collier à partir des perles retrouvées dans la tombe de Gullveig.
– La Coupe de Kvasir (Othrörir/Óðrerir) : Lorsque les Ases et les Vanirs firent la paix après la défaite des premiers, ils échangèrent des otages et crachèrent dans une coupe. De leurs salives mélangées naquit Kvasir, le plus sage des dieux. Kvasir fut ensuite assassiné par les nains Fjalar et Galar qui créèrent l’hydromel poétique en mêlant son sang à du miel. L’hydromel devint alors objet de convoitises, et Odin finit par s’en emparer au bénéfice des dieux, des devins et des poètes. Boire l’hydromel dans cette coupe peut donner la prescience à la völva mais aussi transformer le guerrier en Berserker. Dosé différemment, l’hydromel donne à certains la « Furor sacrée ».
Ceci rappelle d’une certaine façon, le chaudron de Ceridwen.
– La Dent de Björn : (L’objet ci-dessous, une dent d’ours fossile de couleur noire nous intrigue. L’ours est lié au dieu Odin ou Thor, aux berserkers…) Étrange amulette que cette dent d’ours fossilisée, il existe peu d’informations à son sujet. Une légende dit qu’elle fut offerte par les elfes noirs de Svartalfheim et qu’elle permet de contrôler le guerrier Berserker pendant sa transe sacrée ou de se transformer en ours lors d’un gandr.
– Les Os de Gullveig : un des instruments de la völva (staff bearer, seer, sibyl, bones woman dans The Chicanery of Seidr – Rig Svenson 2015.) Porteuse de bâton, voyante, prophétesse, femme aux os. Probablement une des plus vieilles formes de divination, encore en usage en Mongolie (Shagai) jusqu’aux confins de l’Afrique (Sangoma). Les os soigneusement polis ont chacun une forme évoquant un personnage ou une situation.
Certains de ces fragments proviennent de la mâchoire de l’animal, vraisemblablement un suidé. (cochon, sanglier…) Ce qui n’est pas sans évoquer Hildisvini, le sanglier de Freya.
– La Trousse des Nornes : (Fusaïole de Urd, Aiguilles de Verdandi et Pincettes de Skuld) : Urd représente le Passé, Verdandi s’occupe du Présent et Skuld est la Norne qui tisse le futur dans la Toile du Wyrd. Ses Pincettes permettent d’infléchir le Destin de quelqu’un, esclave ou roi…
– Mjölnir : la hache du Dieu Thor. Silex préhistorique, pierre de foudre, protège contre la foudre, les trolls et les esprits maléfiques, elle est également considérée comme instrument qui donne la vie ou la mort.
La forme devait être semblable à une hache ou un marteau, c’est-à-dire une pierre ou un silex broyés. La pierre devait avoir des propriétés «flamboyantes», que possèdent le silex et le quartz. Et toutes les pierres ont été endommagées avec le bord ébréché – «preuve» qu’elles sont tombées du ciel. (Olle Hemdorff, archéologue de l’université de Stavanger – Norvège)
Dans le folklore scandinave, les pierres-tonnerres sont considérées comme de puissants artefacts magiques et quiconque a la chance d’en déterrer un possède un charme très puissant. Souvent vénérés en tant que divinités et transmises dans les familles/ pouvoirs familiaux ou ancestraux, on dit qu’ils protègent contre les sorts et la sorcellerie, s’ils sont conservés sur la personne.
De même, s’ils sont placés dans le mur d’une maison, ils porteront chance, empêcheront la foudre de frapper et protégeront contre la magie noire.
Utilisée lors d’une une cérémonie, une offrande de bière ou de beurre, versée sur la pierre, honorera Thor (l’orage).
(Exemple à talon épais et tranchant poli . Silex de la Baltique)
– La Lampe de Sigyn: Sigyn est l’épouse de Loki qui est intimement lié au feu (le feu créé par la foudre tombée sur un arbre). Une offrande de bière à Odin doit nécessairement s’accompagner d’une offrande à Loki, car jamais le Père des Dieux n’acceptera de boire sans son frère. On projetait donc quelques gouttes de sa boisson dans le feu. Puni pour le meurtre de Baldr, Loki est enchaîné sous le serpent dont le venin le brûle goutte par goutte; mais Sigyn récupère ce venin dans une coupe. Lorsqu’elle vide la coupe, le venin brûle à nouveau Loki dont les spasmes provoquent des tremblements de terre.
– Le Peigne de Sif : Fragments d’un peigne en os, cet objet ne peut qu’être lié à la chevelure d’or de femme du Dieu Thor.
*The first archaeological investigation of Viking-age York, Jorvik, came in a tiny excavation in 1972 in Pavement, 150 m outside the Roman fortress in the direction of the River Foss. This is an area where many Viking-age objects had previously been recovered during building works.”
Viking-Age York – an introductory survey
Actes du deuxième congrès international d’archéologie médiévale (Caen, 2-4 octobre 1987)
Richard Hall
https://www.persee.fr/docAsPDF/acsam_0000-0000_1989_act_2_1_1025.pdf
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