06/10/22
Petit manifeste.
L’illusionnisme fantastique est un des nombreux aspects du Surnatéum*, peut-être le plus difficilement accessible à un public normal. Il a pour but de mettre en valeur la présentation de certaines pièces du Surnatéum. Après tout, un cabinet de curiosité n’est pas un musée traditionnel et possède son propre propos. C’est pour cette raison que cet article s’adresse plutôt au milieu de l’illusionnisme qu’au lectorat classique.
Il y a des années de ça, dans mon livre « Légendes Urbaines », j’introduisais la notion d’illusionnisme fantastique pour me détacher du concept de magie bizarre américain (Bizarre Magic(k)).
La « bizarre magick » fut développée par Tony Andruzzi et d’autres dans les revues Invocation et The New Invocation. Il s’agissait d’une recherche expérimentale théorique sur des nouvelles formes de prestidigitation qui remettaient un sens au mot Magie. A ce sujet, je vous conseille de lire les travaux de Thibaut Rioult.
Capricornian Tales, mon premier livre américain, montrait et ouvrait une voie « pratique » à ce concept, car développée indépendamment du milieu américain, elle n’applique pas les mêmes règles et est jouée devant un vrai public.
Quelques différences majeures existent :
-L’artiste considère que son public est intelligent et ne prend pas des vessies pour des lanternes.
– Le magicien doit avoir une connaissance parfaite de l’illusionnisme traditionnel, en particulier des techniques et méthodes du close-up, de la cartomagie, du mentalisme et de la tricherie. Quand je dis « connaissance parfaite », c’est même un euphémisme. Les techniques seront adaptées pour obtenir « L’EFFET » qui n’a rien à voir avec « LE TRUC ». Nous y reviendrons.
Certains effets ne nécessitent pas de « tour » pour renforcer l’effet de l’histoire. Aramitama, le naufrage de l’Andelana, est tellement documenté que l’histoire est « magique » par elle-même. Dans l’approche en illusionnisme fantastique, la magie est en général considérée comme une émotion ressentie par celui qui vit l’expérience. Les tours à proprement parler servent à passer au travers du miroir.
– Les objets utilisés sont strictement authentiques, souvent antiques mais pas toujours (vous pouvez très bien utiliser un jouet trouvé dans une « boîte à chiques » si l’objet est “juste”). A titre d’exemple, la tablette d’exécration égyptienne de la VIe dynastie n’est pas une copie bon marché. Vous vous adressez à un public intelligent qui fera rapidement la différence entre les deux ; et un seul membre de l’assemblée qui dirait (avec raison) que l’objet est faux, détruirait immédiatement l’effet que vous essayez de créer.
Pour faire bref, la plupart des objets de mes collections ont leur place dans des expositions muséographiques (du musée du quai Branly jusqu’au musée des Confluences de Lyon) car ils sont de rares témoins d’une Histoire oubliée. Et la Tablette d’exécration a été étudiée par les historiens de l’université d’Heidelberg.
– Si ce que vous racontez concerne des évènements historiques, ils ont intérêt à être parfaitement documentés pour la même raison que l’authenticité de l’objet doit être établie. Voir à ce propos, le coffret Vampyres et la recherche Historique approfondie qui est développée dans « l’Hypothèse Vampyrique ».
– La construction de l’histoire doit être originale et un talent de conteur n’est pas à négliger. Tous les objets que vous utilisez ne doivent pas être obligatoirement trouvés dans le grenier de votre grand-père et tous les thèmes ne concernent pas uniquement le naufrage du Titanic ou Jack the Ripper.
– Enfin, vos créations sont uniques, personnelles et non destinées à être reproduites en série pour une clientèle en mal de sensation. Par contre, elles peuvent inspirer les étudiants sérieux de l’illusionnisme fantastique. C’est à ça que servent mes livres, ils contiennent assez d’informations pour donner une base de travail pratique.
L’effet n’est pas le tour. Comme je l’ai écrit précédemment, l’effet est l’émotion « magique » ressentie par votre public lors d’une performance. Il est la résultante de la combinaison des éléments cités précédemment. Comme un des éléments essentiels de la construction de l’effet est la suspension d’incrédulité, une erreur dans la technique, l’objet, l’histoire ou même la crédibilité sera une erreur à 100 % et détruira l’équilibre fragile que vous essayerez de créer.
Donc, si vous achetez des petits tours bizarres produits en série à des prix souvent prohibitifs, vous êtes dans le milieu de la magie bizarre. Si vous créez une œuvre unique et personnelle et respectant les règles ci-dessus, vous entrez peut-être dans le domaine de l’illusionnisme fantastique.
Mais ne confondez pas les deux. L’illusionnisme fantastique est un art élitiste qui demandera bien plus que d’acheter un truc tout fait à présenter dans la soirée.
L’illusionnisme fantastique est donc une école de pensée avant toute autre chose.
*Le Surnatéum est un cabinet de curiosité qui offre une réflexion sur plusieurs sujets: Outre le domaine particulier de l’illusionnisme, il explore les notions de réalisme magique (école belge), de muséographie, de littérature fantastique (qu’il amène dans la tridimensionnalité), de révision de l’Histoire qu’il explore sous d’autres angles de vue, de Réalité et d’interprétation du Réel, d’histoire de la magie au cours des âges, d’œuvre artistique etc.
06/10/22