13/08/13
Bruxelles, automne 1958.
Comme à son habitude, notre vieux et fidèle Concierge entra sans frapper. Il mâchonnait un de ses abominables cigares cubains bon marché et grommelait entre ses dents en tendant une petite enveloppe de carte de visite
– « Ce monsieur désire un rendez-vous avec le Collectionneur, il dit que le contenu de l’enveloppe lui ouvrira certainement les portes du musée. » Le petit étui de carton contenait un rectangle de papier très sobre indiquant « Ali Reza Khan Mansour – Conseiller de la Légation Impériale de Perse » et une pièce de 50 francs de l’Exposition Universelle de Bruxelles sur laquelle semblaient être gravés 6 chiffres.
A la vue de la pièce d’argent, le Collectionneur eut un mouvement de recul.
– « Alors, ça fonctionne ! » S’exclama-t-il. « Faites entrer cet hôte de marque sans tarder, et demandez que l’on nous serve notre meilleur jasmin Chung Hao, dans lequel vous laisserez infuser quelques roses de Damas ! Je pense qu’il ne boit pas d’alcool…»
Une fois mis à l’aise, j’observai notre visiteur avec une attention particulière. D’âge mûr, tout dénotait chez lui l’aisance, la finesse et l’intelligence.
– « Je suis très honoré de votre accueil, » Commença t’il en humant les fragrances du thé « Et je viens de la part d’une dame de qualité, une amie très proche. Elle m’a demandé de m’occuper de certains objets « encombrants » qu’elle ne désire pas conserver. Ils évoquent des souvenirs, disons… douloureux. »
Le diplomate posa une ancienne boîte perse de forme carrée, abîmée par le temps mais de fine marqueterie et un objet entouré de cotonnades. Les tissus, une fois retirés, révélèrent une admirable lampe à huile bleue tirant vers le turquoise apparemment vieille d’un bon millier d’années et de facture islamique. Quant au coffret, il renfermait un très ancien fragment d’étoffe délavée et un anneau de bronze. L’anneau portait en négatif, l’inscription Abdel Khalil.
– « Vous allez me raconter l’histoire d’une jeune princesse des Mille et Une Nuits aux yeux verts et au destin tragique et à cheval entre l’Orient et l’Occident…» commenta le Collectionneur en observant la lampe.
– « Rien ne vous échappe, dirait-on ! Ces inestimables reliques émergeant du Hazär-o Yak Sab – je préfère les titres originaux des contes – furent offerts en cadeau à une jeune fille de 18 ans pour lui rappeler ses origines de la tribu des Bakhtiar. La lampe elle-même fut présentée par un Derviche/Conteur comme celle d’Alâa Ed Din et contenait un Djinn – esprit du feu – capable de réaliser un vœu de celui qui découvrirait son nom. Intuition ou non, il semble qu’elle ait découvert le nom du Génie grâce à l’anneau – (Abdel Khalil peut signifier l’esclave Khalil*, ndlr). Elle fut cependant mise en garde sur le fait que certains esprits peuvent être cruels dans leur manière d’exaucer les souhaits, les Djinns sont maîtres des Ruses, et que le présent pouvait être « empoisonné ». Bien entendu, jeune princesse riche, gâtée et un peu capricieuse, et n’ayant aucune envie de passer son existence comme un précieux bibelot, elle demanda de faire un mariage royal, de vivre dans un palais et d’être couverte de bijoux, d’or et de soieries précieuses…Après tout, quand on vit un conte des Mille et Une Nuits, pourquoi se priver ? Quelques temps après elle fut présentée à la princesse Shams d’Iran, la sœur aînée du Shah, et trois jours plus tard un mariage impérial fut conclu.
Soraya Esfandiari Bakhtiari devint ainsi la seconde épouse de Mohammed Reza Pahlavi, la maleke. Couverte de diamants, sa robe pesait déjà plus de vingt kg, une première épreuve montrant le côté sombre des vœux. Et ils vécurent sept ans d‘un bonheur presque parfait jusqu’à ce que la stérilité de la princesse fût connue et oblige le Shah, pour des raisons politiques, à se séparer d’elle. Dans son exil du palais rose de Golestân, elle décida de ne pas emporter ces reliques et me demanda de m’en occuper. Ces trésors magiques comportent également un anneau en bronze et un fragment de tissu copte, probablement datant du cinquième siècle, et dont l’usage, jusqu’à récemment nous avait laissé perplexe…
Et puis, récemment, apparut dans la boîte, la pièce gravée des 6 chiffres ; c’est elle qui, après une longue enquête m’a mené à vous.
– « C’est vrai que vous m’avez pris par surprise » répondit le Collectionneur « Je ne m’attendais pas du tout à retrouver une des pièces d’argent. A mon tour de vous éclairer…
Il y a quelques années de cela, j’ai acquis un fragment du tapis du Prince Husayn dans un bazar égyptien. Les légendes de tapis volant hantent les Routes de la Soie depuis des centaines d’années. On raconte que les premiers furent fabriqués par des artisans de la Reine de Sabah à l’intention du Roi Salomon. Mais ce dernier, préoccupé par la construction de son Temple, ne fit même pas attention au cadeau. La Reine, dépitée, condamna les artisans à l’exil. Des siècles plus tard, en Egypte, une seule famille conservait encore le secret des ces objets. A la mort du dernier dépositaire, au cinquième siècle de notre ère, les tissus furent enfouis avec lui et l’histoire laissa place au mythe puis à la légende et enfin à la rumeur. Aux alentours du treizième siècle, un marchand d’épices et de soieries connu sous le nom de Père Ali (Baba Ali) entra en possession de ces fabuleuses reliques. Craignant par-dessus tout les voleurs et pillards qui infestaient les pistes des caravanes, il comprit très vite l’intérêt de posséder de telles merveilles. En fait, les tapis ne volent pas, mais transportent instantanément certains objets posés sur un tapis maître vers les autres. Vous voyez les cercles rouges et blancs, il semblerait qu’une pièce d’argent d’une taille précise posée sur un cercle rouge disparaît. Nous supposons que les cercles blancs les font réapparaître. Chaque cercle du tapis maître est lié à un tapis vassal. Ce fut certainement une première manière de transporter des valeurs d’une manière sûre d’un point à l’autre des Routes de la Soie.
J’avais constaté que les pièces posées disparaissaient mais bien entendu aucune d’elle ne revenait. J’ai donc eu l’idée de poser des pièces belges de l’exposition universelle, sur lesquelles j’avais gravé les 6 chiffres de notre numéro de téléphone. C’est comme ça que vous m’avez trouvé, je félicite votre esprit de déduction… et vos services de renseignement.
Notes :
Nous avons testé la lampe, l’anneau et les deux tapis.
– En frottant la lampe avec un chiffon, ce dernier peut s’enflammer – les Djinns sont Esprits du feu. Il faut cependant porter l’anneau.
– Le nom du maître du Djinn (Eblis, Iblis…) peut être découvert grâce à un Talisman, il oblige le Djinn à accorder un vœu*.
– Des pièces d’argent posées à certains endroits du maître tapis se déplacent vers le tapis vassal. Le retour ne semble pas fonctionner, le tapis vassal est fort abîmé.
basat ar-rîh, « tapis du vent »
Parmi ses ancêtres célèbres, m. Mansour comptait Abdou-Dja’far al-Mansour (Abu Djafar El-Mansur – le Victorieux), deuxième calife de la dynastie des Abbassides – mais considéré comme le véritable fondateur de la dynastie des Abbassides – qui régna à Bagdad de753 à 775 (136/158 années de l’Egire). Abdou-Dja’far al-Mansour est encore considéré comme un des plus grands maîtres des Ruses arabes, l’art subtil de la Politique et le bâtisseur de Bagdad – place centrale des 1001 Nuits.
Il précède de peu le fameux Hârun El-Rashid calife de Bagdad de 786 à809.
13/08/13