Sarah Bernhardt Spiritisme

 

SPIRITISME – Victorien SARDOU – Gustave GEFFROY [1855-1926 / Journaliste et critique, un des 10 membres fondateurs de l’Académie Goncourt, ami de Claude Monet].

Manuscrit écrit et signé de sa main, 3 pages in-8 en longueur, très denses, avec ratures, corrections et indications de mise en page en vue de parution.

Il rend compte de la pièce de Victorien Sardou « Spiritisme », dont la Première eut lieu au Théâtre de la Renaissance le 8 février 1897 [Dès les années 1850, Sardou se passionna pour le phénomène des tables tournantes, initié aux Etats-Unis par les sœurs Fox. Il affirma hautement dans cette pièce – peu connue – sa croyance en la survie et la possibilité pour les morts, dans certains cas, de la prouver. Sarah Bernhardt tenait le rôle principal].

En préambule, Geffroy donne le ton : « Si le spiritisme se relève des plaidoyers de son avocat, c’est qu’il aura la vie dure, et qu’il en sera de la pièce de M. Victorien Sardou comme des supercheries dévoilées devant la justice avouées par les exploiteurs eux-mêmes, et qui laissaient aux dupes toutes leur candide confiance. Ici l’aventure est tout à fait singulière. Si l’on avait appris par les journaux que l’auteur de Spiritisme faisait profession de croire aux pratiques des médiums et aux incarnations des esprits dans des pieds de tables, on pourrait se croire, en toute sécurité, spectateur d’une pièce qui met en scène, dans toute sa beauté, le truc du compère ». Geffroy résume la pièce. Il présente Mr d’Aubenas, l’amateur de tables tournantes et son épouse Mme Simone d’Aubenas, plus versée vers les bellâtres ! Au premier acte, Mr d’Aubenas est occupé à se pâmer sur son guéridon en compagnie d’un médium américain et d’un médecin. Frappements de coup, déroulement d’alphabets… le nuit se passe. L’homme de science est décontenancé par la démonstration. Geffroy précise bien que ce personnage cartésien aurait dû se souvenir des escrocs du spiritisme et il se fait un plaisir de citer le directeur de la Revue Spirite, traduit en justice, qui avoua ses supercheries, ainsi que la condamnation de Slade en Angleterre, arrêté pour escroquerie avec son complice le prestidigitateur Maskelyne. Pendant ce temps, Mme d’Aubenas a prétexté de passer la nuit chez une amie. Elle la passera en réalité dans les bras du Serbe Stourdza ! Les esprits qui accompagnent le mari trompé sont discrets et bien élevés et ne révèlent pas la vérité crue, mais l’enjoignent à regarder par la fenêtre. La scène est alors envahie par une lueur rouge : il y a le feu à la gare… et Madame et sa supposée amie peuvent être au nombre des victimes. Tout le monde se précipite dehors. A l’acte 2, c’est l’après-midi du lendemain et on découvre Simone et Stourdza repus d’amour. Ils roucoulent encore et ne savent rien du drame. Ils vont se quitter à regret en se faisant plein de promesses quand on frappe à la porte. Simone se cache. C’est Mr d’Aubenas et ses amis qui entrent, la mine et les vêtements défaits d’une nuit passée à chercher dans les décombres de l’incendie le cadavre de Simone. Ils viennent demander au Serbe si Mme d’Aubenas et son amie ont bien pris le train quand il les a déposées à la gare. Stourdza balbutie et dit n’en rien savoir. La troupe repart, sauf Mr Valentin, un ami d’enfance de Simone, qui a flairé la vérité. Il secoue alors verbalement le Serbe et interpelle Simone, qui apparaît de la chambre et qui n’avait rien perdu du désespoir de son mari. La scène entre les trois personnages est selon Geffroy la seule bonne de la pièce. Plus de jeux de passe-passe ! Enfin une étude de caractères : l’homme à femme qui vise l’argent de sa maîtresse épousée après divorce et la femme passionnée. Le critique enfonce le clou en affirmant que cette seule scène met encore plus en valeur le vide de conception de la pièce et surtout la médiocre habileté acharnée de Sardou à vouloir faire vivre tout « ce monde du guignol spirite ». Simone, toute amoureuse clame que, puisqu’on la croit morte, elle est libre ! Elle exhorte son amant à fuir tous les deux ! Qu’il la prenne telle qu’elle est ! L’autre refuse froidement et finit par s’en aller. Rideau ! Le troisième acte met en scène l’ami fidèle, Mr Valentin, qui veut sortir son amie de la situation. Il imagine de prendre Mr d’Aubenas pour victime de la confiance qu’il a, que sa femme va lui apparaître et convainc Simone de se laisser passer pour l’esprit de la morte et de profiter du trouble où sera le mari pour se faire pardonner son adultère. Le pardon obtenu, elle se réincarnera sous sa forme ancienne et tout sera dit. Et c’est exactement ce qui se passe la scène suivante et qui clôture la pièce. « Ainsi, M. Victorien Sardou, parti, nous dit-on, pour affirmer le spiritisme, aboutit, en proie à l’obsession qui gouverne son esprit malicieux, à une conclusion diamétralement opposée. Nous n’y pouvons rien, et nous n’avons qu’à enregistrer le fait, mais on n’avait pas encore offert, à la connaissance des adeptes, un coup aussi bien monté que celui de la femme coupable se déguisant en spectre pour rentrer en grâce au foyer conjugal ». « Le malheur de M. Victorien Sardou, qui aime le théâtre, est de l’aimer comme un art médiocre aux moyens bas, au but d’amusette. La seule combinaison l’intéresse, et il lui livre en pâture même ses convictions les plus chères. Que va-t-il répondre aux esprits qui apprendront la conclusion de sa pièce ? Quelles circonstances atténuantes va-t-il invoquer ? Quelles excuses présenter ? Quels remords formuler ? Laissons-le à ces perplexités ». En souscription : « Mme Sarah Bernhardt a mis tout son grand talent dans ses répliques à l’homme à femme et elle a aussi, avec un sérieux imperturbable, fait le spectre ».

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02/08/14